Quantcast
Channel: Sur tous les tons
Viewing all 138 articles
Browse latest View live

Joyce, reine de New York

$
0
0

Ni mécène du Met de New York, ni mécénée par lui, je sacrifie pourtant à l’irrépressible envie de saluer une nouvelle fois la dernière retransmission au cinéma d’une production de la maison d’opéra new-yorkaise !

Samedi 19 janvier, les salles obscures affiliées au réseau Pathé-live  -on pouvait écouter aussi chez soi, sur France Musique- diffusaient en direct Marie Stuart de Donizetti, opéra créé en 1834 à Naples. Dans le rôle-titre, la mezzo américaine Joyce DiDonato. D’une artiste aussi talentueuse, on attendait bien sûr une belle prestation. Mais elle nous a offert tellement davantage !

Actrice consommée, elle explique durant les délicieuses interviews « sortie de scène » avoir beaucoup lu sur son personnage mais plus encore regardé les films mettant en scène la reine d’Ecosse, incarnée par Katherine Heppburn ou Vanessa Redgrave. Son jeu n’a presque rien à envier à ces étoiles du 7e art : visage mobile, jamais déformé par la performance vocale, attitudes frémissantes, accablées ou révoltées, Joyce DiDonato est tout simplement parfaite.

Et quelle expressivité dans ses mains, agitées d’un léger mais incessant tremblement tout au long de l’Acte II. Incarcérée depuis de longues années (elle passa 18 ans de prison en prison) sur ordre de son ennemie jurée Elizabeth Iere , Marie Stuart a vieilli physiquement et moralement : les mains de la chanteuses suffisent à évoquer ce double outrage, de l’âge et de la politique.

Musicienne de très, très, haute volée, Joyce DiDonato se délecte d’une partition qui semble avoir été écrite pour sa voix claire et charnue, d’une souplesse de liane. Jouissance  technique et émotion pure se conjuguent au sommet de son art. Que faut-il admirer le plus : les sons filés dans l’aigu, qu’elle épanouit dans un seul souffle uni et infini ? Les vocalises aisées, gracieuses, jamais démonstratives ? La douceur méditative de son chant, comme une introspection qu’il nous est donné d’entendre presque par effraction ? Ou ces soudaines violences quand, de victime soumise, Marie se transforme en souveraine accusatrice.

La fin de l’Acte I est stupéfiante : face à la morgue d’Elizabeth, la reine déchue se redresse tandis que sa voix, elle, descend dans le grave de la tessiture. Le « figlia impura di Bolena » (« fille impure d’Anne Boleyn ») qu’elle crache au visage de sa cousine est de ces instants de théâtre dramatiques qu’on n’oubliera pas.

Le Metropolitan Opera en direct au cinéma. Rens. sur www.pathelive.com

 


Prima la musica ?

$
0
0

La question n’est pas neuve… et jamais résolue.  Faudrait-il d’ailleurs qu’elle le soit ?

Dans un opéra, est-ce la musique ou les paroles qui priment ? Débat éternel,  que l’on pourrait formuler autrement, en ces temps (qui, eux non plus, ne datent pas d’aujourd’hui) où la mise en scène d’un ouvrage lyrique compte tout autant que sa réalisation musicale : comment conquérir le plus « efficacement » le public ? Par ce qu’on lui donne à entendre ou par ce qu’on lui donne à voir ?

On discutera, polémiquera, s’écharpera même à l’infini, comme l’autorise -le réclame ?- l’art lyrique qui entend réunir dans la fosse et sur les planches tous les sortilèges sonores et tous les puissances visuelles. Chacun, selon ce que lui dicte son oreille ou son œil, prendra parti avec passion.

Pourtant, il est des ouvrages qui semblent imposer d’eux-mêmes leur propre réponse.

Découverte dimanche 27 janvier, la très belle production des Dialogues des Carmélites de Francis Poulenc proposée par l’Opéra de Toulon s’achève bien évidemment par la montée à l’échafaud des religieuses de Compiègne condamnées à la guillotine en juillet 1794.

Dans ce dernier tableau (qui vous hante durablement de retour dans la capitale) les « outils » de la musique sont du côté du compositeur, des chanteuses et du chef d’orchestre -le vétéran Serge Baudo, formidable. Si bien que les metteurs en scène (Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil) signent alors une sorte d’aveu d’impuissance. Comment en serait-il autrement ?

Poulenc fait chanter un ardent, un déchirant, Salve Regina aux Carmélites livrées au supplice. Lorsque le couperet tombe (coup de fouet cinglant à l’orchestre), les voix se taisent, une à une, pour ne laisser entendre, in fine, que le soprano céleste de Sœur Constance, cette « adorable soubrette de Dieu », selon les mots mêmes de Poulenc. Avant que Blanche de la Force, mue par le désir irrépressible d’accompagner ses amies dans la mort, prolonge un instant la mélodie de Constance,  en chantant Deo Patri et Filio.

Que peut faire alors une mise en scène pour se hisser au niveau de la musique et de ses poignants « effets spéciaux »- ce passage saisissant du tutti des voix en chœur au fil vocal d’une ultime martyre ? A ce moment-là, plus de doute : Prima la musica.

 

PS – Na pas hésiter à se procurer le DVD de ce chef-d’œuvre dans la production de l’Opéra du Rhin, avec une superbe mise en scène de Marthe Keller (mais qui connaît le même « problème » dans la scène finale) et servie par une distribution lumineuse.vec

 

 

 

Les pâles asphodèles

$
0
0

Les jasmins, les lilas et les roses –d’Ispahan ou d’ailleurs- fleurissent en abondance dans les poèmes dont les mélodistes français se sont emparés pour les mettre en musique.

Bien que plus rare dans nos jardins versifiés, l’asphodèle dont le nom qui porte au rêve inspire toutefois les auteurs, sollicitant leur veine mélancolique et caressant leurs pensées pessimistes.

Deux concerts à la Folle Journée de Nantes, qui s’est achevée dimanche 3 février, nous l’ont rappelé. La soprano Véronique Gens avait mis au programme de son merveilleux récital la mélodie «Pholoé » de Reynaldo Hahn, sur un texte de Leconte de Lisle. Il y est question de « la pâle asphodèle » (le mot est devenu féminin pour l’occasion), évocation de la vieillesse, qui se mêle aux roses de la vie…

Avec « Praxinoé » de Louis Vierne, oratorio pour solistes, chœur de femmes et orchestre qui n’avait pas été donné depuis sa création en 1908, voici également nos asphodèles, associés encore au charme maladif :

« Dors, princesse candide et frêle

Qu’un songe impossible poursuit,

Plus pâle que les asphodèles,

Plus douce que la douce nuit ! »

Mais pourquoi une telle ambiance blême autour de cette « Plante monocotylédone (Liliacées) qui pousse surtout dans les régions méditerranéennes, et dont la hampe florale nue se termine par une grappe de grandes fleurs étoilées très ornementales », telle que nous la présente de dictionnaire Robert ?

Comme souvent, la réponse est à trouver dans l’Antiquité, chez nos pères grecs. Les asphodèles étaient souvent choisis pour orner les tombes des défunts, en référence à la légende du Pré de l’Asphodèle, lieu des Enfers où reposaient les âmes (sans doute majoritaires) que n’avaient animées ni le goût de la vertu ni la pratique du vice…

Là, elles vivaient « une existence insubstantielle et sans objet », comme le mentionne joliment un article puisé dans l’encyclopédie Wikipedia. Parfois, les soirs d’hiver, dans la grisaille du métro, après une journée bien remplie mais de longues heures encore avant la perspective d’un sommeil réparateur, une existence insubstantielle et sans objet n’est-elle pas la plus douce des tentations ?

En poésie et en musique, on pourra cueillir tige à tige un bouquet d’asphodèles languissants, ici chez André Chénier (« L’Aveugle »), là chez Hugo (« Booz endormi »), là encore chez Verlaine (« Sur le balcon »)… Dans ses « Harmonies de la nature », Bernardin de Saint-Pierre précise quant à lui que « parmi les plantes, la mauve rampante avec ses fleurs rayées de pourpre, et l’asphodèle avec sa longue tige garnie de belles fleurs blanches ou jaunes, se plaisent à croître sur les tertres funèbres. »

Puis, pour se ragaillardir un brin et secouer toute cette nostalgie, le mélomane se souviendra soudain qu’Emmanuel Chabrier a nommé Asphodèle l’un des personnages de son délicieux opéra bouffe « L’Etoile ». Tandis que de petites incursions dans la chanson nous entraîneront à la suite de Marie Laforêt et de ses « Bouquets d’asphodèles », laissant le mot de la fin à une Marie-Paule Belle des plus ironiques :

« Elle soignait ses asphodèles

Et son vieux mari gâteux

En souriant malgré elle

D’un petit air mystérieux… »

 

NB – Tous mes remerciements aux documentalistes de Bayard pour leur aide précieuse dans la cueillette de ces fleurs mélancoliques…

 

Des goûts et des pochettes

$
0
0

Méditatif, la tête penchée, le ténor Klaus Florian Vogt est assis au pied d’un arbre colossal dont le réseau de racines affleure. Quoi de mieux que ce phénomène de la nature pour inviter l’auditeur de son nouveau récital Wagner, paru chez Sony, à se plonger dans l’univers du démiurge Richard ?

Atmosphère de bonbonnière pastel et rococo pour son collègue, le contre-ténor Max Emanuel Cencic, qui, lui, rend hommage sous le label Virgin Classics à l’opéra vénitien du XVIIIe siècle. Ici, plus question de nature gigantesque et indomptée mais, au contraire, l’ambiance précieuse d’un boudoir où pose, le regard clair perdu dans le vague, un chanteur en veste de velours et cravate soyeuse du plus parfait kitsch. Avec ses cheveux blonds soigneusement coiffés en arrière, Max Emanuel Cencic semble tout droit sorti d’un chromo. L’intelligence de l’artiste nous laisse imaginer un clin d’oeil ironique au glamour pas toujours du meilleur goût qui entoure les stars de l’art lyrique. Et non une allégeance à je ne sais quelle loi impérative du marketing musical…

Plongé dans l’ombre autant que le contre-ténor était caressé par la lumière,  Hopkinson Smith  -il signe un nouvel album chez Naïve- adopte une ligne plus modeste mais beaucoup plus poétique, inclinant son profil aristocratique et son front haut vers le véritable  « personnage principal » du CD : le théorbe pour lequel il a transcrit les trois premières suites pour violoncelle de Bach…  On notera, à l’intérieur du disque, une autre photo du musicien, adossé à un arbre (décidément !) au double tronc élancé comme un appel vers le ciel…

Chez Harmonia Mundi, qui joue toujours la carte de l’élégance discrète et de la correspondance entre les arts, le disque Weber de la violoniste Isabelle Faust et du pianiste Alexander Melnikov (avec Boris Faust et Wolfgang Emanuel Schmidt) arbore sur sa pochette un tableau du peintre Lovis Corinth : La Violoniste, toile exécutée par l’artiste allemand en 1900. Le label est fidèle à lui-même :  sérieux, cultivé, tout dans la retenue.

Enfin -on pourrait multiplier les exemples à l’infini-  le label du festival d’Ambronay opte pour la métaphore, associant à deux pages de Beethoven interprétés par le Quatuor Terpsycordes  l’image explosive d’une étoile en expansion. A moins qu’il ne s’agisse, tout aussi à-propos,  d’un feu d’artifice éblouissant dont les étincelles crépitent sur l’ensemble de la pochette. A l’instar de l’influence radicale exercée par Beethoven sur les générations qui l’ont suivi.

Dans quelle mesure les illustrations des boîtiers de CD influencent-elles (en bien ou en mal) les mélomanes en arrêt devant les bacs -ou ce qu’il en reste- des disquaires ? A l’heure de la dématérialisation de la musique, notre oeil sera-t-il flatté par le soin et la « classe » des pochettes d’Harmonia Mundi ou de la Dolce Volta ou titillé par le look « starlette » de nombre de jeunes instrumentistes et chanteuses, avec leurs robes de soirée à falbalas et autres volants telles que les affectionnent les « gros » labels ?

Comme aurait dit un fabuliste que l’on ne présente plus, l’acheteur potentiel est-il vraiment séduit par le « plumage » des musiciens, avant même que d’écouter leur « ramage »…

 

 

 

Wagner, Baudelaire

$
0
0

Baudelaire

« Il y a évidemment quelques chances pour que le critique ingénu, en ne racontant que ses propres impressions, raconte aussi celles de quelques partisans inconnus. »

Sous la plume de Baudelaire -excusez du peu !- voici une phrase qui réconforte la « critique ingénue » dans les instants de doute. Non pas qu’il s’agisse le moins du monde de se comparer au génial poète. En revanche, son idée ne semble demander qu’à être partagée et… récupérée. Si elle sont sincères et, autant que faire se peut, argumentées, une opinion, une impression personnelle rencontrent sans doute celles d’une poignée de lecteurs. Et plus si affinités…

Cette maxime réconfortante figure en page 14 dans l’édition chez Mille et une nuits de « Naissance de la musique moderne » de Charles Baudelaire. Le 1er avril 1861, le poète publie dans la Revue Européenne un mémorable article intitulé « Richard Wagner et Tannhäuser à Paris« . Il y prend, avec flamme, la défense du compositeur allemand et de sa musique qui lui ouvre un « espace étendu jusqu’aux dernières limites concevables« .

Parmi tous les ouvrages savants ou accessibles qui vont légitimement fleurir au cours de cette année Wagner, le texte de Baudelaire est de ceux que l’on désire garder à portée de main. Pour peu que l’autre main se saisisse d’un crayon à papier, voici que l’on coche, phrase après phrase, toutes celles que l’on désirerait retenir par coeur, tant elles traduisent des sensations subtiles, des sentiments pénétrants et des réflexions profondes.

Sans parler du style qui laisse pantois et reconnaissant : quel bonheur de pouvoir lire et relire de telles beautés. Baudelaire oppose aux détracteurs de Wagner toute la puissante de sa pensée et la perfection de son écriture. Aux « diatribes affligeantes » qui ont accueilli les concerts parisiens de 1860 dans lesquels le compositeur faisait entendre un choix de pages symphoniques et chorales extraites du Vaisseau fantôme, de Lohengrin, de Tristan… le poète répond par des formules cinglantes.

Mais tout cela ne serait que vivant témoignage des querelles esthétiques d’une époque si Baudelaire ne passait pas bien vite à la description saisissante des effets et symptômes -psychologiques et physiques- que provoque en son âme d’artiste cette « musique ardente et despotique« . Ardent et despotique : comment mieux définir l’art de Wagner qui vous plonge dans « une extase faite de volupté et de connaissance« .

Baudelaire qui avoue volontiers qu’en matière d’art, il « ne hait pas l’outrance » cherche à analyser par l’esprit et le coeur comment Wagner fait naître en lui ces fameuses « correspondances » qui emportent dans un même élan sons et couleurs, parfums et vibrations épidermiques. Plus encore, le mélomane passionné qu’il est creuse au plus profond de lui-même pour débusquer les raisons de son émotion. « Dans ce que j’avais éprouvé, il entrait sans doute beaucoup de ce que Weber et Beethoven m’avaient déjà fait connaître, mais aussi quelque chose de nouveau que j’étais impuissant à définir, et cette impuissance me causait une colère et une curiosité mêlées d’un bizarre délice. »

Puisse cette année Wagner nous offrir maintes occasions de goûter et goûter encore de bizarres délices !

Des applaudissements et autres bruits

$
0
0

De soir en soir, selon les jours, je me sens un peu, beaucoup ou –parfois mais, par chance, rarement- pas du tout intégrée à la communauté des spectateurs qui, comme moi, partagent l’expérience d’un récital, d’un concert symphonique ou d’une représentation lyrique.

Maniaque, j’ai de plus en plus de mal à supporter les toux démonstratives à gorge déployée (ne faudrait-il pas en début de concert rappeler l’usage « filtrant » du mouchoir, voire de l’écharpe ou de la manche ?), tintements de bracelets et autres froissements de papier. On sent assez vite si une salle sera bruyante ou non, concentrée ou nerveuse, recueillie ou agitée…

Le phénomène n’a rien de nouveau comme nous le prouvent tant d’enregistrements anciens en « live » où les divers bruits et rumeurs de l’auditoire ajoutent leur note « concrète » à la partition exécutée !

A la fin du concert, un autre phénomène sonore, officiel celui-ci, marque l’approbation du public, ses remerciements, son enthousiasme. Il s’agit bien évidemment des applaudissements. Claquements de mains fédérateurs, qui, de l’orchestre au poulailler, associent autant de spectateurs isolés en un corps bruyant unanime. Récemment, Salle Pleyel, la prestation stupéfiante de vigueur, de subtilité, de romantisme et de clarté de Mariss Jansons, entraînant son formidable Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam dans la Ve Symphonie de Tchaïkovski, a déclenché une frénésie d’applaudissements dans laquelle je me reconnaissais avec délice.

Même impression à l’Opéra Comique au tomber de rideau de la si sympathique et enlevée Ciboulette.

Mais que se passe-t-il quand, pour de bonnes ou de moins bonnes raisons peut-être, on ne partage pas la ferveur de ses semblables, assis devant, derrière ou à côté de soi ? Quand on ressent l’interprétation des fulgurants Tableaux d’une exposition de Moussorgski par Yuri Temirkanov, à la tête de l’Orchestre de Paris, morcelée et pesante alors que la salle entière ovationne le maestro… Ou quand, certes, on goûte la finesse vocale et la virtuosité du contre-ténor Max Emmanuel Cencic, tout en déplorant une présence un peu éteinte et un impact sonore et musical insuffisant pour le Théâtre des Champs Elysées dont il peine à passer la rampe… Sans parler de l’accompagnement très relâché des instrumentistes d’Europa Galante… Là encore des bravos torrentiels qui paraissent hors de proportion.

Sentiment de solitude au milieu du groupe. Interrogations sur sa propre sensibilité, irritation de ne pas avoir su percevoir des beautés si évidentes pour les autres.

Pourtant l’expérience inverse s’avère bien plus déroutante encore. A l’issue (le dimanche 17 février à 11h, également au TCE) d’un concert  magnifique d’éloquence et de flamme du Quatuor Prazak avec, notamment la Suite lyrique de Berg tenue et tendue et le fascinant Quatuor en ré majeur K499 de Mozart, le public a bien sûr applaudi mais mollement. Pressé de regagner le logis pour le repas dominical ? Insensible à la cohésion artistique de ces instrumentistes si plaisants à voir et entendre jouer ensemble une musique admirable ?

Quelle déception et quel vague sentiment de culpabilité éprouvé au nom de cette entité, le Public, dont on se désolidarise malgré soi. Aussi déterminées soient-elles, deux mains isolées ne peuvent pas grand chose pour exprimer alors admiration et gratitude !

Wolfgang Sawallisch, souvenirs

$
0
0

Sawallisch-Wolfgang-7[Philadelphia]Dimanche 24 février. Le coup de téléphone peiné d’une amie qui l’appréciait tout particulièrement; une dépêche AFP relayée sur les sites des principaux journaux… La nouvelle du décès du chef d’orchestre allemand Wolfgang Sawallisch sera sans doute commentée dans les réseaux spécialisés en musique classique mais absente des information générales.

Certes, voici plusieurs années qu’il s’était retiré des salles de concert et d’opéra. En outre, même au plein de son activité, le musicien hautement reconnu par ses pairs n’avait jamais été ce qu’on appelle une figure médiatique. En dépit d’une carrière remarquable.

A la fin des années 1990, l’Orchestre de Paris l’avait invité à diriger un cycle Beethoven courant sur plusieurs saisons. La tâche était ample, avec l’intégrale des symphonies et des concertos mais aussi les principales oeuvres chorales. Du Christ au Mont des Oliviers à la Missa Solemnis en passant pas la Fantaisie chorale et Fidelio. Préparé avec ferveur par le bouillant Arthur Oldham qui admirait sincèrement Wolfgang Sawallisch -avec un je ne sais quoi de perplexité face à son flegme et à sa retenue- le Choeur de l’Orchestre de Paris fut de l’aventure.

Posé, d’une grande courtoisie très « vieille Allemagne », sachant très précisément, mesure par mesure, ce qu’il souhaitant pour chacune de ces partitions, Wolfgang Sawallisch se révélait surtout impressionnant par la virtuosité de sa battue. Sa méthode était très différente mais tout aussi fascinante que le mysticisme minimaliste d’un Carlo Maria Giulini dans les dernières années de sa vie, ou le graphisme, expressif mais épuré, d’un Pierre Boulez.

Chez Sawallisch, sans que l’on puisse (en tout cas depuis les bancs du choeur) ni véritablement comprendre ni encore moins analyser comment, chaque mouvement était immédiatement traduisible en intentions simples ou, au contraire, extrêmement subtiles. Dans la monumentale Missa Solemnis qui exige tant de chaque instrumentiste, de chaque soliste vocal et de chaque choriste, chacun de ses doigts pouvait même donner une indication particulière, avec la plus parfaite lisibilité. Au lieu de vous submerger, ces informations simultanées vous aidaient à construire l’interprétation souhaitée par le maestro, sans l’ombre d’un stress. Quel art !

Lors de la première répétition avec orchestre de cette Messe qu’il aimait de tout coeur, Wolfgang Sawallisch, habituellement avare de discours périphériques à l’exécution musicale, avait pourtant pris la parole quelques minutes, expliquant combien cette partition lui semblait un résumé de la condition humaine et de ses aspirations, tantôt désespérées, tantôt confiantes, vers une transcendance. Avec son visage fin, ses vêtements stricts et son allure de « Herr Professor » distingué, il avait fait cette déclaration d’une voix douce et sans emphase avant de lever sa baguette pour la première mesure.

Inutile de dire que la dissipation qui préside parfois aux répétitions était totalement absente dès qu’il montait sur le podium. Sans qu’on pense à se « tenir à carreau » face à un chef de cette réputation, mais tout simplement parce que l’on n’éprouvait aucune envie de perdre une seule miette de ces magnifiques rencontres.

D’autant que le style  Sawallisch, souvent synonyme de parfaite maîtrise du discours musical, de sens des proportions et de raffinement sonore pouvait aussi s’embraser. Ce fut le cas, de manière inouïe, lors de son Fidelio parisien (au cours du même cycle Beethoven de l’Orchestre de Paris), littéralement chauffé à blanc. Toutes les forces musicales se sentirent alors portées par une direction incandescente, animée d’une force dramatique quasi insoutenable jusqu’à l’apothéose finale. Comme l’avait voulu Beethoven, le Bien et la justice triomphaient de la tyrannie dans un brasier enthousiaste. Il réchauffe encore, des années plus tard, les souvenirs de ceux qui ont vécu, dans la salle ou sur le plateau de la salle Pleyel, cette mémorable soirée.

 

 

Nos chers disparus…

$
0
0

Tristes semaines pour les mélomanes.

Les décès se sont succédé parmi les musiciens, depuis le chef de choeur suédois Eric Ericson dont l’influence fut considérable sur le chant collectif durant des décennies, jusqu’au claveciniste colombien Rafael Puyana, qui fit ses premières classes auprès de la mythique Wanda Landowska. Mais aussi, le chef d’orchestre allemand Wolfgang Sawallisch, l’organiste française Marie-Claire Alain ou encore le pianiste américain Van Cliburn, dont la victoire au concours Tchaïkovski à Moscou, en pleine guerre froide, marqua presque autant l’histoire politique que celle des arts…

Si l’on excepte les radios spécialisées, France Musique et Radio Classique, qui leur ont rendu hommage, force est de constater que les médias audiovisuels généralistes ont été laconiques, pour ne pas dire totalement muets, lors de leur disparition. Faut-il y voir un désintérêt de plus en plus marqué pour la musique classique -avec, trop bien ancrée hélas, l’idée qu’elle ne concerne personne ? Ou, du moins, une distance telle que tout autre nouvelle semble plus importante à l’heure où l’on sélectionne les sujets abordés au JT ?

On se permettra donc de concocter ci-dessous un petit programme qui pourrait s’inscrire dans la grille de France 2, 3 ou 5, accompagnant la journée du téléspectateur de quelques séquences musicales « in memoriam »…

Pour commencer, puisque le printemps et la nature se réveillent en ces premiers jours de mars, le larghetto de la 1ere symphonie de Robert Schumann, précisément surnommée le Printemps,  pourrait lancer les émissions matinales, sous la baguette de Wolfgang Sawallisch. On y entend, on y sent, la montée de sève qui précèdent la belle saison.

Vers 10h, pourquoi ne pas donner la parole à Marie-Claire Alain ? J’avoue un faible pour la sérénité souveraine de son jeu dans In dir ist Freude, tiré de l’Orgelbüchlein de son bien aimé Jean-Sébastien Bach. L’orgue y résonne comme un esprit tendre et protecteur.

A l’heure du repas, voici les accents merveilleusement romantiques de l’andante du 1er concerto pour piano de Tchaïkovski, sous les doigts de Van Cliburn. Le dialogue souriant, quoiqu’un peu mélancolique, entre le clavier et les bois de l’orchestre évoque un concours de chants d’oiseaux, propice à adoucir les informations souvent âpres que distillent les journaux de la mi-journée.

Au mitant de l’après-midi, histoire de retrouver l’entrain nécessaire à bien finir la journée, un peu amollie à l’heure de la sieste et des énièmes rediffusions télévisées de séries sentimentales ou vaguement policières, Rafael Puyana fera vibrer, bourdonner et s’emballer le célèbre Fandango du Padre Antonio Soler, festival éblouissant de sonorités brillantes et de rythmes obstinés, enivrants.

La nuit tombe et pour entamer la soirée, on invitera Eric Ericson dans une pièce du (lui aussi) regretté Hans Werner Henze. The Point to be noted, extrait de Orpheus behind the Wire, met particulièrement en valeur les voix souples et limpides des artistes du Choeur de Chambre dirigé par le remarquable le maître suédois.

Enfin, avant de goûter au sommeil, au moment de faire taire le poste de télévision, il n’est plus que de boucler la boucle avec Wolfgang Sawallisch -au piano cette fois- et à la divine soprano Margaret Price. Ensemble, ils interprètent l’une des mélodies les plus magiques de Richard Strauss, la bien nommée Morgen (Demain).

Que nous disent-ils donc ? Tout simplement : « Demain le soleil brillera à nouveau« …


Regarder Benjamin Britten

$
0
0

En consultant une documentation sur le centenaire de Benjamin Britten que l’on m’avait gentiment transmise, j’ai été accrochée par une « réclame » pour l’album Britten in Pictures, réalisé par Lucy Walker (1), une spécialiste du compositeur de Peter Grimes et du War Requiem. Je me suis aussitôt procuré ce volume et ne le regrette pas.
Le parcours biographique et artistique du musicien se déroule en images, depuis la photo de mariage de ses parents, Edith et Robert, jusqu’aux derniers portraits des années 1970 : on y voit un homme malade, au visage marqué mais toujours terriblement attachant.

Entre ces deux repères, des dizaines et dizaines de clichés, posés ou spontanés, scènes de la vie musicale ou images du quotidien, que tout admirateur de Benjamin Britten contemplera avec autant d’intérêt que d’émotion. Si le compositeur en est tout naturellement le héros, on y reconnaît ou découvre ses parents, ses amis, ses collaborateurs et, très présent, son complice musical et compagnon de vie, le ténor Peter Pears.

Le superbe portrait des deux hommes devant l’objectif de Cecil Beaton (en 1945), avec son clair-obscur sophistiqué est particulièrement troublant. Pears occupe le premier plan, visage fermé, vaguement hostile même. Au fond à gauche, sortant presque du cadre, Britten aborde une expression tout aussi grave, énigmatique. L’ambiance « jamessienne » de la photo, accusée par les mains croisées du compositeur qui se reflètent sur le couvercle brillant du piano est fascinante.

Je me souviens alors qu’Arthur Oldham, le chef de choeur anglais qui fut l’un des rares élèves de Britten, évoquait souvent le caractère affirmé -voire exclusif- de Peter Pears et l’emprise qu’il exerçait sur son compagnon… Est-ce ce que Cecil Beaton a voulu traduire dans cette composition singulière ?

Cheveux crêpelés, nez un peu fort, bouche fine et sensible, regard juvénile – même sous des sourcils souvent légèrement froncés – la physionomie de Benjamin n’est pas celle d’une star de cinéma. Mais, avec sa mince silhouette d’une grande élégance -voyez sur la couverture du livre, comment elle « habite » cet imperméable pourtant trop grand et noué trop haut !- et ses mains magnifiques, l’artiste se révèle extrêmement photogénique.

Il arbore souvent un demi-sourire, souvent aussi une expression mélancolique -comme sa musique. On se réjouit d’autant plus de le voir riant ouvertement sur l’une des photos publiées par Lucy Walker, au milieu des admirateurs qui l’applaudissent à la sortie du Concertgebouw d’Amsterdam. Une gerbe de fleur dans les bras, Britten semble si heureux du succès que vient de remporter (nous sommes en 1949) sa Spring Symphony.

Courrez commander chez votre libraire ou en ligne cet album auquel vous reviendrez souvent, très souvent, si vous aimez Britten et son oeuvre à laquelle on souhaiterait que les opéras et salles de concert de France rendent davantage hommage en 2013. Vous le verrez en voiture, avec le couple Rostropovitch (Galina est rayonnante !), au piano au festival d’Aldeburgh, très las et ressemblant étrangement à Leonard Bernstein à la fin de sa vie… Bien des années plus tôt, vers 1925, voici un adolescent à la mine un brin canaille dans son veston rayé de jeune collégien. Ou encore un bel homme sur son 31 aux côtés de la reine Elizabeth II…

Et comment ne pas fondre devant l’une de ses premières partitions, à l’écriture enfantine et appliquée : ces chansons pour piano, cornet et banjo (datant du tout début des années 1920) témoignent de l’inventivité du jeune musicien qui associe des instruments à l’alliage inusité. Déjà Britten perçait sous Benjamin…

(1) Edité par la Britten-Pears Fondation (266 pages)Boydell Press (www.boydellandbrewer.com)

 

 

Les jolis musiciens d’Agnès Jaoui

$
0
0

Dès les premières images d’Au bout du conte, le nouveau film d’Agnès Jaoui, les notes du Roi de Thulé, cette belle et mélancolique mélodie chantée par Marguerite dans le Faust de Gounod, se font entendre. Comme un leitmotiv, elle reviendront tout au long du récit, ponctuant de leurs accents rêveurs les aventures et états d’âme des personnages imaginés par le duo Jaoui-Bacri.

Gounod mais aussi Bach ou Purcell sont parmi les invités prestigieux -mais amicaux- de la réalisatrice. Du compositeur anglais, le duo festif Sound the Trumpet, tiré de l’Ode à Sainte Cécile accompagne avec une joie explosive la déambulation amoureuse des jeunes Laura et Sandro, dans un Paris de carte postale des plus romantiques !

Comme son confrère Emmanuel Mouret empruntant essentiellement au grand répertoire ses délectables illustrations sonores qu’il sertit avec finesse et drôlerie dans ses films, Agnès Jaoui laisse s’épanouir à l’écran son amour de la musique. Comme une image, sorti en 2006, en témoignait déjà avec une grâce toute particulière, Monteverdi (mais aussi Schubert, si mes souvenirs son bons) calmant tel un baume émollient les doutes et blessures de l’héroïne, incarnée par une vibrante Marilou Berry…

Au bout du conte n’est sans doute pas un film immense mais les musiciens et mélomanes ne pourront que lui être reconnaissants de montrer une image vivante, tendre et stimulante, de leur art bien-aimé. Sandro, affecté d’un bégaiement contrariant et d’une juvénile maladresse dans sa vie sentimentale, se révèle dans le même temps un compositeur prometteur, dont les camarades, tous élèves au Conservatoire national supérieur de Musique de Paris, interprètent avec jubilation les dernières créations.

De cette petite équipe d’instrumentistes,  émergent les figures de Clémence, violoncelliste romantique (Nina Meurisse au visage de madone), et du violoniste Julien, incarné par Clément Roussier, comédien lumineux déjà remarquable dans la –médiocre hélas- série télévisée Ainsi soit-il. Des jeunes gens séduisants, travailleurs, sérieux mais sans austérité : leur  pratique passionnée d’une musique réputée élitiste, surtout quand il s’agit de partitions contemporaines, ne les assèche pas. Bien au contraire, ils s’épanouissent au contact des blanches, des croches pointées et des silences, confiant à leur instrument ce que leurs lèvres, parfois, osent à peine exprimer.

Pourtant quand un « manager » (Benjamin Biolay, plus ténébreux de pacotille que jamais) s’en mêle, détectant en Sandro un artiste peut-être « bankable », les ennuis commencent… Pour Agnès Jaoui, l’amour de l’art ne saurait faire de compromission avec la course au succès et à l’argent. A moins qu’il ne consente à vendre son âme au diable. Retour à Faust

NB. les musiques originales sont, elles, de Fernando Fizbein, compositeur complice d’Agnès Jaoui

Gare aux chaussettes !

$
0
0
Affiche du festival de Cannes 2013

Affiche du festival de Cannes 2013

Le retour du Ring à l’Opéra Bastille dans la désolante production de Günter Krämer permet de s’adonner au jeu des sept erreurs, activité au parfum qui fleure bon l’enfance. Le metteur en scène a, en effet, procédé à divers changements qui exigent une réactivation de la mémoire pour être identifiés.
Parmi ces modifications (impossibles de les appeler des améliorations !), celle du costume de Siegfried dans la deuxième journée de la Tétralogie est manifeste. Dans la version initiale, Torsten Kerl était affublé d’une salopette beigeasse de plombier-bûcheron du plus mauvais effet sur sa silhouette enrobée de heldentenor. D’autant que le costumier avait pris soin de sangler  la dite salopette d’un large ceinturon de cuir, à hauteur de la taille. On ne pouvait que déplorer cet accoutrement ridiculisant un fort bon musicien dont la voix n’est certes ni assez puissante ni assez charnue pour la Bastille mais dont l’interprétation du héros sans peur ne démérite pas.
Découverte jeudi soir, la reprise de Siegfried s’accompagne d’un radical changement de tenue pour le rôle-titre. Exit la salopette laborieuse au profit d’un costume trois pièces foncé banal mais nettement moins malséant.

Si ce n’était le pantalon… qui n’en est pas un. Qu’il chasse l’ours, forge l’épée de son père assassiné, trucide le dragon Fafner ou réveille la Walkyrie Brünnhilde, Siegfried porte un bermuda coupé au-dessus du genou. Mais, sans doute pour ne pas prendre froid dans la forêt profonde, théâtre de ses exploits, il a enfilé de longue chaussettes dont la bande élastique est plaisamment rayée. Il ne lui manque plus que le cerceau, le petit sceau à sable et le filet à papillons ! Ajoutons que l’une des chaussettes glisse un peu sur le mollet, suscitant chez le spectateur l’agaçante envie de voir le chanteur la remonter, geste qu’il ne fait jamais, ni sur scène ni en coulisse, durant les presque 5 heures que dure le spectacle !
Certes, Siegfried est un tout jeune homme innocent qui court les bois et ignore tout de la vie sauf sa propre force. Mais, pour asséner cette idée au public, faut-il ainsi attifer un malheureux chanteur (qui, en outre, est coiffé de dreadlocks couleur paille), au risque de lui ôter non seulement toute prestance, toute grâce, mais, plus grave, tout impact dramatique autre que farcesque ?
On se rappelle alors cette mise en scène de Parsifal -un autre « innocent » wagnérien- retransmise depuis Bayreuth, dans laquelle le futur chevalier du Graal arborait lui aussi un petit costume marin (taille XXL) parfaitement grotesque. Existe-t-il un accord tacite entre les stylistes pour enfant et les scénographes ?
Et doit-on supporter, côté salle et côté scène, que l’on s’emploie avec un malin plaisir à enlaidir régulièrement les artistes sans le moindre bénéfice narratif ou symbolique qui, éventuellement, justifierait ces manœuvres coupables ?
Nettement plus glamour, l’affiche du prochain festival de Cannes vient d’être dévoilée. On y voit un baiser plein de charme entre Paul Newmann et Joan Woodward. Les deux comédiens sont allongés par terre, tête-bêche, formant une souple guirlande de leurs corps minces et déliés. Mais, là encore, survient un (petit) problème de chaussettes. Le pantalon trop court (à l’américaine des années 1960) de Paul dévoile de tristounettes chaussettes noires et une fine ligne peau claire. Un détail qui rompt un tantinet la magie de ce cliché si séduisant.
Décidément, gare aux chaussettes !

L’un pose un lapin, l’autre non

$
0
0
Décoration de Pâques dans une épicerie fine viennoise...

Décoration de Pâques dans une épicerie fine viennoise…

Pâques à Vienne, ce sont des vitrines débordant d’oeufs colorés, de lapins et autre canards festifs; c’est un plat spécial (épinards à la crème, pommes de terre sautées et oeuf mollet) au menu des cafés et restaurants ; ce sont des offices chantés dans les églises de la ville catholique. Ce sont aussi les salles de spectacle qui font relâche le  Vendredi saint par respect pour ce jour de deuil.

La veille en revanche, l’Opéra programmait un ouvrage de circonstance -même si le terme ne convient guère à ce chef-d’oeuvre : Parsifal. Là encore, une tradition, le » festival scénique sacré » de Richard Wagner trouvant chaque année, durant la période pascale, sa place naturelle parmi la pléiade d’ouvrages proposés au public dans ce théâtre de répertoire et d’alternance. Le fameux « Enchantement du Vendredi saint », au troisième acte, résonne plus sublime et ensorcelant encore la veille du jour en question. La ligne élégante et la voix recueillie de Kwangchul Youn en Gurnemanz s’accordant à la direction fervente de Franz Welser-Möst et aux sonorités superlatives de l’orchestre, n’y étaient pas étrangères ce jeudi 28 mars.

Pourtant, l’effervescence qui régnait aux abords du massif bâtiment du Staatsoper viennois, en dépit d’un froid quasi-polaire, n’avait rien de vraiment mystique. L’attrait premier de ce Parsifal n’était-il pas la présence attendue dans le rôle-titre DU ténor tant aimé, de Munich à New York et de Salzbourg à Milan : Jonas Kaufmann ? Découverte sur la scène du Met et relayée par les cinémas du monde entier, sa récente prestation dans ce même Parsifal, aussi subtile et engagée dramatiquement que vocalement rayonnante, aiguisait toutes les espérances.

Las, grippée, la star a annulé. Au dernier moment ou presque et au grand désespoir de ses aficionados. Tant est si bien que, le soir de la première, quelques billets -introuvables la veille, cela va sans dire !- étaient proposés à la vente à l’entrée de la salle par leurs propriétaires désabusés…

Le phénomène ne date pas d’hier : les chanteurs d’opéra suscitent un engouement que d’aucun peuvent juger disproportionné et la déconvenue quand ils « défaillent » est à la démesure de l’enthousiasme quand ils « assurent ». Lorsqu’il s’agit d’un artiste du talent, du charisme et de l’intelligence musicale de Jonas Kaufmann, cela n’a rien que de très compréhensible et l’on peut supposer que ce type d’annulation -il n’en est pas à sa première- est aussitôt pardonnée dès qu’il réapparaît sur la scène. On comprend aussi qu’un chanteur au zénith de son art, invariablement acclamé, ne puisse imaginer décevoir son public. Impossible de se présenter à lui un peu fatigué, un peu moins brillant…

Peut-être alors, préfère-t-il se concentrer sur des prises de rôle (en juin prochain Manrico dans le Trouvère de Verdi à Munich), de nouvelles productions excitantes, « laissant tomber » les prestations moins essentielles qui alourdissent un empli du temps très (trop ?) rempli… Mais ce ne sont là que conjectures.

La veille de ce Parsifal dans lequel Christopher Ventris remplaça honorablement (sans magnétisme hélas mais avec finesse) son collègue absent, l’Opéra de Vienne programmait une autre soleil noir du répertoire germanique : Wozzeck d’Alban Berg (1). Une reprise de la belle mise en scène de Herbert Kapplmüller inspirée par la peinture allemande du début du XXe siècle. Toujours un excellent Franz Welser-Möst à la baguette et dans le rôle principal, aux côtés de la féminissime Marie d’Anne Schwanewilms, le baryton Simon Keenlyside… qui n’a pas annulé !

Cet artiste trop peu connu car trop rarement entendu en France a prouvé une fois encore combien mûries, sensibles et sensées sont ses incarnations lyriques. Qu’il soit le fuyant Pelléas ou le ténébreux  Hamlet, le courageux Marquis de Posa, le séducteur Don Giovanni ou ce pauvre Wozzeck, victime et assassin, Simon Keenlyside, en dépit d’une voix qui pâlit un peu avec les ans, demeure un artiste indispensable, marquant de son empreinte chacun des personnages dans lequel il glisse sa belle silhouette. Comme ces acteurs américains de l’âge d’or hollywoodiens,  il lui suffit d’un geste pour faire exister un caractère et le rendre inoubliable. Une main inquiète passée sur le visage dès que la peur ou le doute s’insinuent suffit à imposer le Wozzeck halluciné de Simon Keenlyside.

(1) A écouter ce samedi 6 avril à 19 h eures sur France Musique dans la Soirée lyrique du Judith Chaine).

 

 

Un choeur cesse de battre

$
0
0
Le Choeur Colonne en concert

Le Choeur Colonne en concert

Il existait depuis 1982 et voici, brutalement, que ses activités vont s’interrompre. Ses membres l’ont tout récemment appris : pas de saison 2013/2014 (1) pour le Choeur Colonne, phalange vocale adossée à l’Orchestre du même nom fondé, lui, en 1873 par Edouard Colonne. Motifs explicitement financiers -on le sait, les temps sont durs, très durs pour la culture- et, plus vaguement, artistiques sont invoqués pour expliquer aux chanteurs que l’on doit se séparer d’eux.

Il ne s’agit pas ici de juger la légitimité de la dissolution soudaine d’une belle équipe chantante en période de restrictions budgétaires et dans un paysage parisien où l’offre musicale est (trop ?) copieuse, mais plutôt de rendre un amical hommage à ces artistes amateurs, à ces passionnés de musique qui, de répétitions en concerts, ont offert au public le meilleur de leur engagement.

On connaît les vertus du chant collectif, la solidarité qui unit chaque pupitre -quitte à créer une amusante émulation entre les voix graves et les voix aiguës, les messieurs et les dames, avec mention spéciale aux sopranos toujours un tantinet sujettes au syndrome « la diva, c’est moi »- avant l’effervescence des concerts.

Mais on sait aussi la routine, parfois pesante, parfois exaltante, des répétitions ordinaires, moments privilégiés où les voix individuelles s’assemblent, se fondent, pour donner corps et vie à une partition. Moments de tension quand, décidément, les progrès se font attendre. Moments de joie lorsque, sans qu’on puisse l’expliquer, la musique sort de sa gangue telle une pierre précieuse dont les choristes et leur chef sont, pour le moment, les seuls à contempler l’éclat…

Dans un Requiem allemand de Brahms, le choeur s’affiche en valeureux héros, sollicité sans relâche par le compositeur. Dans Daphnis et Chloé de Ravel, ses interventions sont beaucoup plus limitées mais indispensables à la théâtralité si sensuelle de la musique. Ces deux oeuvres géniales appartenaient, parmi tant d’autres, au répertoire du Choeur Colonne, longtemps dirigé par Patrick Marco avant de passer sous la houlette de Francis Bardot (en 2009).

Alors que l’ensemble va tirer sa révérence bien malgré lui -on croit savoir que les chanteurs ont projet de ne pas baisser les bras en fondant une nouvelle structure indépendante- les mélomanes ne peuvent que saluer, que féliciter avec admiration et tendresse, ces amoureux de l’art qui vivent intensément le bonheur du partage, entre eux et avec leur public. Du moins tant qu’on le leur permet…

(1) La dernière production 2012/2013, programmée en juin prochain, est même annulée, anticipant encore cette tranchante « cessation d’activité »…

 

Bach par Christian-Pierre La Marca

$
0
0

CPLMarca_5__0000_1-115x115Il vous faudra fouiller un peu au rayon CD classiques de votre  » grande surface culturelle », à moins que vous n’ayez la chance de fréquenter encore l’un des rares disquaires spécialisés qui survit en France. Vous finirez alors par trouver l’enregistrement des six Suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach par Christian-Pierre La Marca. Et dès que vous l’aurez écouté, vous vous étonnerez qu’il ne figure pas en « tête de gondole » comme l’un des si ce n’est LE disque du moment !

Dès les premières mesures du Premier Prélude de la Première Suite (!), on est saisi par la beauté et la profondeur du son de ce violoncelle à la fois riche et infiniment subtil. Puis, la précision technique, la vélocité et la justesse de l’intonation installent une parfaite confiance, un abandon de l’écoute au seul discours musical. Et comme il en vaut la peine !

Christian-Pierre La Marca possède ce phrasé qui n’appartient qu’à certains artistes : il vous embarque pour ne plus vous « lâcher » dans un flux ininterrompu où chaque note -et, évidemment chaque silence- procède de la précédente et appelle la suivante. Une élasticité extraordinaire dans les attaques et les fins de phrases persuade qu’avant la musique, il y avait déjà la musique et qu’après la musique il y aura encore la musique…

Sous son archet dansant -rien d’affecté dans cette pulsation calme ou pleine d’élan- les lignes s’enroulent les unes aux autres et, véritablement, l’expérience prend pour l’auditeur des couleurs d’éternité. Sans qu’aucune monotonie ne s’installe. Car si Christian-Pierre La Marca ne cède jamais au maniérisme ou à l’emphase, il nuance et varie en orfèvre ses dynamiques et ses sonorités. Rustique et presque naïve dans telle Gavotte, noble et solennelle dans telle autre Sarabande, éblouissante dans le dantesque Prélude de la Sixième Suite…

Plutôt que de multiplier les exemples, on ne peut qu’inviter, inciter, obliger presque à se procurer au plus vite ce double CD (Sony Vogue) et, dans le même temps, à guetter les prochains concerts d’un jeune homme qui se classe déjà parmi les maîtres du violoncelle. A l’heure où les mélomanes saluent la mémoire de Janos Starker (5 juillet 1924 – 28 avril 2013) et ses admirables visions de Bach…

 

Vive l’esprit d’équipe !

$
0
0
Le Barbier de Séville à l'Opéra de Lille

Le Barbier de Séville à l’Opéra de Lille

A 48 heures d’intervalle, j’ai pu voir et entendre deux spectacles lyriques, l’un à l’Opéra de Lille, l’autre au Théâtre de l’Athénée à Paris dont la programmation musicale est devenue, année après année, l’une des plus intéressantes et originales de la capitale.

Dans le Nord, Le Barbier de Séville de Rossini, mené tambours battants par le metteur en scène Jean-François Sivadier et le chef italien Antonello Allemandi. A Paris, une version enthousiasmante de l’Ariane à Naxos de Richard Strauss, mise en espace par Benjamin Lazar et dirigée par Maxime Pascal entraînant ses formidables compagnons musiciens du Balcon.

Dans les deux cas, le plateau vocal déborde de jeunesse et de joie de chanter malgré, ici et là, quelques imperfections. Elles ne concernent ni le trépidant Figaro lillois d’Armando Noguera ni, à l’Athénée, la Zerbinette de Julie Fuchs (décidément, une voix, un tempérament et un charme irrésistibles qui s’affirment et s’affinent de rôle en rôle !). L’un et l’autre ne méritent que des éloges. Le public conquis ne se prive pas d’ailleurs de leur manifester sa gratitude par des vivats explicites !

Mais, parmi leurs comparses, peu importe les failles et les fragilités des uns ou des autres, tant l’esprit d’équipe domine et irradie la fosse, la scène et la salle laquelle, par petites touches, est d’ailleurs associée dans quelques jeux de scène « participatifs » tout en finesse et en ironie… On se dit alors, par comparaison, qu’une telle connivence, une telle collaboration (au sens premier de travail en commun) font malheureusement souvent défaut dans les salles de concert et d’opéra.

La juxtaposition de talents, même remarquables, qui n’ont eu ni le temps ni, peut-être, le désir profond de s’entendre et de construire ensemble une interprétation partagée, ne vaudra jamais cette complicité créative, fruit d’une attention mutuelle, que l’auditeur à coup sûr ressent. Chacun sur son siège et tous formant une communauté d’écoute soudée du parterre au poulailler peuvent ensuite laisser libre cours à leur gratitude au moment des saluts et des innombrables rappels.

A Lille et à Paris, dans un joyeux désordre collectif bien peu hiérarchique (point de prima donna ou de petit rôle qui tienne), les artistes sont venus recueillir leurs lauriers communs. C’est dans ces moments-là que l’expression spectacle vivant prend tout son sens !


Cordes sensibles et vibrants hommages

$
0
0
Les Dissonances, un ensemble collégial sans chef d'orchestre

Les Dissonances, un ensemble collégial sans chef d’orchestre

20 heures, le jeudi 23 mai à la Cité de la musique. Sur le plateau vide, les instrumentistes vont faire leur entrée d’une minute à l’autre. Au programme de ce troisième et dernier concert du mini-cycle « Emprunts et citations », les Variations sur un thème de Frank Bridge de Benjamin Britten doivent ouvrir le ban. On se réjouit déjà d’entendre Les Dissonances, ce formidable ensemble emmené (et non dirigé) par le violoniste David Grimal, ciseler comme un seul archet cette musique entêtante, au raffinement inépuisable.

Pourtant, David Grimal arrive seul sur scène. « Henri Dutilleux était un créateur et un homme unanimement admiré et respecté par les musiciens, déclare-t-il. Il a inspiré et encouragé nombre de ses pairs dont le violoncelliste Xavier Phillips, membre des Dissonances, qu’il avait découvert grâce à son ami Rostropovitch… En hommage au compositeur qui vient de disparaître, Xavier va interpréter ses Trois Strophes sur le nom de Sacher »

Suivent quelques minutes graves et troublantes, pleines d’émotion et d’éternité (l’oeuvre survit à son créateur). Du haut en bas de l’ample tessiture du violoncelle, du frémissement au halètement et des longues lignes lyriques aux pizzicati griffus, Xavier Phillips, sonorité somptueuse et vision recueillie, fait entendre une musique dont chacun sent qu’elle est précieuse, rare et durable, qu’il soit ou non un familier des partitions d’Henri Dutilleux.

Dans Britten, Barber (le célébrissime Adagio qui prend ici des nuances mystiques quasi-wagnériennes tant la cohésion des interprètes en resserre et densifie la tension harmonique) et Bernstein, Les Dissonances sont tout simplement bluffantes. Dans un même mouvement, qui swingue ou se dilate, tous ces artistes remarquables se fondent en un organisme sonore d’une voluptueuse unité. Comment font-ils pour palpiter à ce point au rythme d’une unique pulsation, pour construire tel crescendo, amener tel ralentendo, déployer des couleurs somptueuses comme un brocard ou fraîches comme un arc-en-ciel ?

Et ce chant des violoncelles (quatre seulement) si moelleux, si profond mais si lumineux ! Et ces pianissimi suraigus aux violons évoquant une brise caressante ! Et cette présence magnétique des contrebasse (deux seulement !)… Et cet élan imparable dans les agencements les plus sophistiqués quand, dans la Sérénade de Bernstein, les percussions viennent prêter main forte aux cordes ! On ne dira pas une fois encore tout le bien que l’on pense de David Grimal dont le violon se glisse, volubile et souverain, entre les notes et les silences. Du grand art, sobre, évident.

Après les Variations sur un thème de Frank Bridge, l’altiste David Gaillard a quitté son pupitre pour endosser la partie soliste des Lachrymae du même Britten. Une oeuvre mystérieuse et magnifique aux accents parfois austères, au climat ombreux. Ces « réflexions sur un chant de Dowland » s’achèvent comme une aurore encore voilée, une promesse de plénitude. Le thème de Dowland, d’une gravité simple et noble, réunit tout l’orchestre. Il prend alors des irisations « à l’ancienne », tandis que le phrasé, ample et majestueux, transforme l’auditorium parisien en chapelle anglaise du temps jadis. Hommages de musiciens d’aujourd’hui à l’histoire séculaire qui les nourrit.

V comme Versailles, V comme vulgaire

$
0
0
Affiche du Grand Bal Masqué à Versailles

Affiche du Grand Bal Masqué à Versailles

Il y a des moments où l’on n’en croit pas ses propres yeux ! On les frotte vigoureusement pour être certaine de ne pas rêver… en vain.

Récemment, dans les couloirs du métro parisien, une affiche annonçait « Le Grand Bal Masqué de Versailles », organisé le vendredi 14 juin de minuit à l’aube, dans l’Orangerie du Château. Une manifestation « récréative » et lucrative (il en coûte de 60 à 280 euros par personne, selon que l’on désire associer ou non champagne et buffet aux plaisirs de la danse), en lien avec le beau festival où défile tout le gotha de la musique baroque, de Cecilia Bartoli à John Eliot Gardiner en passant par Jordi Savall et William Christie.

Les concerts et représentations lyriques du festival se tiennent pour la plupart dans le ravissant Opéra royal, l’une des salles les plus gracieuses, les plus harmonieuses du monde avec ses boiseries vieil or et le velours bleu doux qui recouvre sièges et banquettes, ainsi que dans l’auguste Chapelle royale, chef-d’oeuvre de l’art du Grand siècle aux proportions majestueuses.

La noblesse et la distinction sont donc au programme -le luxe aussi, les tarifs des concerts étant très élevés- flattant l’oeil autant que l’oreille. Comment expliquer alors le « look » ahurissant et tellement commun de la publicité pour ce Bal Masqué placardée dans le métro ? Y a-t-il eu erreur et a-t-on mélangé par mégarde les affiches de la fête versaillaises avec celles d’une nouvelle émission de téléréalité programmée sur TF1 ou M6 ?

Que voit-on sur cette affiche  ? Le metteur en scène Kamel Ouali, qui officia notamment pour la Star Academy et maintes comédies musicales parfaitement kitsch, donne le bras à une jeune femme juchée sur des talons hauts, masquée et vêtue d’un déshabillé suggestif. Au premier plan, deux autres créatures fantasmatiques aux jambes interminables (merci photoshop !), costumées de la même façon et dans une pose vaguement chorégraphique.

Valorisante image de la femme, assimilée à une belle de nuit clinquante dans une tenue évoquant le porno chic ! En outre, il en faut trois pour encadrer un seul homme, grand ordonnateur des réjouissances qui, lui, avance à visage découvert… Pourtant, le site internet assurant la promotion de l’événement promet que  » L’Orangerie du Château de Versailles devient pour une nuit la plus élégante, la plus fantasque et la plus raffinée des salles de bal… » élégante, fantasque, raffinée, vraiment !?

La mercantilisation galopante des lieux de patrimoine est, selon l’angle considéré, un bien ou un mal moderne qui contribue à leur appropriation par le public et à leur entretien, fort coûteux à la collectivité. Mais doit-on pour autant souscrire à la vulgarité ambiante et se compromettre sans réserves avec le mauvais goût comme cette affiche le manifeste ?

Le War Requiem de Britten au comble de l’émotion

$
0
0
Benjamin Britten

Benjamin Britten

Évoquant la création à Coventry, en mai 1962, du War Requiem de Benjamin Britten, Dietrich Fischer-Dieskau se souvenait qu’il en avait chanté les dernières paroles, « le cœur dissous« . « Let us sleep now » demandent conjointement, avec une infinie tendresse, les voix mêlées du baryton et du ténor, dans une page d’une humanité bouleversante. Et c’est bien le cœur dissous que l’auditeur écoute s’éteindre le pianissimo final, ne sachant s’il s’agit d’un murmure timide accueillant un possible recommencement ou la dernière caresse des vivants à leurs morts…
Ce samedi 8 juin au Théâtre des Champs-Elysées, l’Orchestre symphonique de Birmingham et son chœur, la maîtrise de Radio-France, la soprano Erin Wall, le ténor Mark Padmore et le baryton Hanno Müller-Brachmann, placés sous la direction d’Andris Nelsons, se sont hissés à un niveau musical et émotionnel digne de l’immense chef-d’œuvre du compositeur anglais, dont on célèbre le centenaire. Célébrations hélas plutôt « minimalistes » en France  : deux fois merci, donc, au TCE d’avoir programmé ce concert qui comptera parmi les grands moments de la saison!
Colosse au visage très doux, Andris Nelsons est de ces  (rares) chefs dont le spectateur accompagne la battue comme s’il pouvait en lire les indications presque note à note. Sensation aussi gratifiante qu’exaltante. Pour exiger -et obtenir- du chœur la nuance la plus ténue, à la frontière de l’audible, il se ramasse sur lui-même, les mains jointes, le frémissement d’un doigt suffisant à commander une légère variation au sein de cette texture impalpable. Si, à rebours, il veut que les cuivres explosent dans une fanfare d’une morbidité triomphante, il lève le poing vers le ciel, dans un geste de défi sublime. Dans une partition aussi exigeante, engageant des forces musicales multiples pour créer autant de plans sonores et dramatiques, sa direction éloquente n’oublie jamais la grande ligne tout en ciselant chaque détail, en habitant chaque silence.
Ainsi portés, les instrumentistes, choristes et solistes sont appelés à donner le meilleur d’eux-mêmes. Entre les terribles éclats tragiques et le quasi-silence par lequel commence l’œuvre et auquel elle retourne in fine, toute la gamme des dynamiques se joue. Toute la palette des timbres aussi : jeunesse et fraîcheur des voix enfantines des formidables maîtrisiens de Radio France, ardeur et recueillement des chanteurs de Birmingham, grâce fruitée et radieuse sensibilité de la soprano Erin Wall (quel déchirant Lacrymosa !), fragilité et tendresse du baryton Hanno Müller-Brachmann.

Et puis, il y a Mark Padmore. Avec sa voix limpide et si naturelle qui se teinte soudain de couleurs inquiètes, sa diction d’une élégance inégalée, ne croirait-on pas entendre Wilfred Owen lui-même, ce jeune poète fauché en 1918 dont Britten à choisi les textes pour chanter cette ode à la paix et honorer la mémoire des victimes de la haine ? Parole et musique semblent « infuser » toutes les fibres de cet admirable artiste, comme s’il en était le médium. Et c’est d’une beauté et d’une force incroyables !

(A écouter le mardi 2 juillet à 20h sur l’antenne de France Musique)

Retour sur une saison musicale

$
0
0

Exercer sa mémoire peut prendre des formes des plus diverses. Depuis l’apprentissage d’une sublime tirade de Corneille jusqu’à la mémorisation du code de sa porte d’entrée en passant par la liste des ministres du gouvernement… Qui peut se vanter de les citer tous ?

Quand arrive la fin de la saison musicale, sans qu’on les sollicitent, les souvenirs et impressions des riches heures comme des grands ratages surgissent d’eux-mêmes. En revanche, la légion des soirées passables s’est effacée et il faut beaucoup de bonne volonté (appuyée sur une consultation des brochures-programmes des salles) pour la faire revivre.

Point ne sert en ce début d’été de convoquer les déceptions. Voici plutôt -et pardon pour les oublis et le désordre chronologique des évocations- quelques-unes des impressions fortes, voire inoubliables, de cette année 2012/2013.

Le pianiste Paul Lewis

Le pianiste Paul Lewis

* Le pianiste anglais Paul Lewis, aussi séduisant à voir jouer qu’à entendre, dans un récital Schubert proposé par Jeanine Roze au Théâtre des Champs-Elysées. Un intense voyage initiatique dans les pas du Wanderer.

* David Grimal -je rêverais d’ailleurs de l’entendre jouer avec Paul Lewis- dont le violon souverain emplissait l’église Saint-Leu- Saint-Gilles  (dans le Ier arrondissement de Paris) de la musique absolue, transcendante de Bach.

* Mark Padmore, confondant d’intensité poétique, dans le somptueux War Requiem de Britten dirigé par Andriss Nelsons au Théâtre des Champs-Elysées.

* Quelques jours plus tard, dans cette même salle centenaire, Le Sacre du Printemps de Stravinski sous la baguette magique d’Esa-Pekka Salonen, inimitable dans cette œuvre toujours sidérante.

Le chef d'orchestre Esa-Pekka Salonen

Le chef d’orchestre Esa-Pekka Salonen

* Joyce DiDonato, pourtant via l’écran de cinéma lors d’une retransmission en direct depuis le Metropolitan Opera de New York, hallucinante Marie Stuart (Donizetti), crachant au visage d’Élisabeth Iere un injurieux « figlia impura di Bolena » (« fille impure d’Anne Boleyn »).

* Le Met au cinéma réserva aussi d’autres très grands moments, dont un Parsifal à la distribution masculine sublime : Kaufmann, Pape, Mattei ou des Troyens de Berlioz, sans doute imparfaits, mais transfigurés par l’héroïsme juvénile du ténor Bryan Hymel et la flamme dramatique de Susan Graham, Didon blessée à mort.

* Jean-Sébastien Bou, baryton à la voix à la fois souple et percutante, aussi poignant dans Claude de Thierry Escaich à l’Opéra de Lyon que cocasse savetier dans Marouf d’Henri Rabaud à l’Opéra Comique.

* A Toulon, sous la direction inspirante de Serge Baudo, le duo entre Blanche de la Force et son frère, dans Dialogues des Carmélites de Poulenc : Ermonela Jaho et Stanislas de Barbeyrac au sommet de l’émotion.

* Retour à Paris, Salle Pleyel, pour une 5e symphonie de Tchaïkovski d’un lyrisme incandescent sous la direction de Mariss Jansons, entendu quelque temps avant au TCE : pour une grandiose Turangalila de Messiaen avec l’époustouflant Jean-Yves Thibaudet au piano.

* Surprenante avec ses dentelures quasi-baroques et ses tempi enlevés, la Missa Solemnis (Pleyel encore) de Beethoven dans la vision de John Eliot Gardiner a fait souffler un ouragan, apaisé au moment de l’extraordinaire « Et incarnatus est », murmuré par les ténors insurpassables du Monteverdi Choir.

La soprano Julie Fuchs

La soprano Julie Fuchs

* Au Théâtre de l’Athénée, Ariane à Naxos de Strauss, jeune, svelte et d’une merveilleuse cohésion grâce au Balcon de Maxime Pascal et à la mise en espace de Benjamin Lazar. Julie Fuchs y incarnait une Zerbinette idéale d’insolence et de finesse.

* Au festival d’Hardelot (Pas-de-Calais) le Quintette pour cordes et piano d’Elgar par le Nash Ensemble de Londres, embrasé d’un romantisme généreux parfaitement irrésistible…

Beaucoup d’oublis, je le répète, mais le propre de l’exercice est de ne pas provoquer les réminiscences. Une grande absente semble-t-il, la musique baroque… Je compte désormais sur l’année 2014 pour me griser de Rameau dont on célèbrera le 250e anniversaire de la mort…

 

 

 

Anna Stéphany, la voix noble et sentimentale

$
0
0
La mezzo-soprano Anna Stéphany

La mezzo-soprano Anna Stéphany

Elle s’appelle Anna Stéphany. Ce lundi 1er juillet, pour l’un des derniers concerts de la saison parisienne, elle était l’invitée de William Christie et du Théâtre des Champs Élysées. En compagnie de deux autres mezzo-sopranos, Karine Deshayes et Renata Pokupic, la jeune cantatrice aux origines franco-anglaise rendait hommage à Lorraine Hunt Lieberson, elle aussi mezzo, fauchée prématurément par la maladie en 2006 et tant regrettée par le monde de la musique. Lorraine Hunt, une musicienne-magicienne à la présence inoubliable. De ces artistes qui, dès leur entrée en scène, fascinent et « accrochent » la lumière comme l’attention des spectateurs. Par la qualité de leur voix, la solidité de leur technique et l’intelligence de leur musicalité. Mais plus encore par un « je ne sais quoi » indéfinissable qui les place à part : plus intéressantes, plus touchantes, plus indispensables…

Dans sa robe sombre mettant en valeur sa blondeur et sa grâce, Anna Stéphany a interprété deux airs d’Irène extrait de Theodora de Haendel (l’unique compositeur au programme de cet hommage  d’une superbe cohérence). Un rôle noble et grave dans lequel Lorraine Hunt aimait déployer son extraordinaire classe, son émotion pudique mais incandescente. Sa jeune collègue a su, avec une personnalité bien différente, convaincre, séduire et se faire aussitôt aimer du public du TCE.

Pour beaucoup, ce fut une découverte -même si Anna Stéphany avait déjà chanté en France, notamment dans La Clémence de Titus au festival d’Aix, sous la direction de Colin Davis. Au sortir du TCE, les auditeurs échangeaient sur la divine surprise et la joie de faire connaissance avec une artiste (actuellement membre de la troupe de l’Opéra de Zürich) dont, quelques heures plus tôt, ils ne soupçonnaient pas à quel point elle les bouleverserait… Misant sur la fluidité d’une ligne vocale très pure et sans aucune concession au décoratif, les airs écrit par Haendel pour Irène font avant tout appel à l’intériorité de l’interprète.

Les mains jointes, le visage un peu penché, Anna Stéphany est devenue sur la scène du TCE cette chrétienne prête au sacrifice, sereine malgré l’angoisse, déterminée en dépit des tourments annoncés. Le timbre chaleureux parcouru d’un léger vibrato parfaitement contrôlé, la souplesse du phrasé et la parfaite égalité vocale sur l’ensemble de la tessiture (aigus magnifiques, graves charnus et vibrants) comptent parmi les nombreux atouts de la jeune mezzo qui, en outre, possède une diction claire et sans artifice.

En quelques secondes, elle s’est glissée dans l’accompagnement raffiné, irisé, de l’Orchestra of the Age of  Enlightenment, dirigé d’une main sensible et flexible par William Christie, donnant vie et souffle à son personnage, plongeant l’auditeur dans un océan de plénitude. Son chant nuancé ne cherche aucun effet qui ne soit au service de l’expression et de la profondeur de la musique. Au service de la force et de la fragilité d’une héroïne d’opéra qui devient alors une amie proche.

 

 

Viewing all 138 articles
Browse latest View live




Latest Images