Du 25 au 31 juillet, la dernière semaine du festival estival de l’Opéra de Bavière fut un feu de joie musicale, permettant de goûter, en outre, la belle acoustique et l’ambiance singulière de trois salles de caractère : l’immense National Theater avec son Parkett, son Balkon, ses Ränge et sa Galerie. Sans oublier les places réservées aux lecteurs de partitions qui écoutent la représentation en en suivant mesure par mesure les lignes vocales et orchestrales ; le Prinzregententheater à l’atmosphère « vintage » qui ne propose que de bonnes places et permet de se délasser avant le spectacle dans son délicieux jardin ; ou encore le Cuvilliés-Theater, adorable bijou
rococo tout d’or et de pourpre.
Si, avouons-le, l’attraction principale de ce séjour munichois était la reprise de La Force du Destin de Verdi avec Anja Harteros, Jonas Kaufmann et Ludovic Tézier dans les trois rôles principaux, il y eut bien d’autres délices (et une déconvenue) dont voici quelques aperçus…
* Un Orfeo de Monteverdi mis en scène avec fantaisie, délicatesse et esprit de troupe par David Bösch, dans un style précis et décontracté qui rappelle les premières incursions de Jean-François Sivadier dans l’univers de l’opéra. Dans le rôle du poète-musicien, le baryton Christian Gerhaher, aussi bien chantant que profondément
émouvant. A son côté, Angela Brower incarnait la Musica et la Speranza avec une grâce d’elfe au sein d’une distribution soliste et chorale sans failles, soutenue -un peu sagement peut-être- par la direction d’Ivor Bolton.
* La truculence et la joie communicative d’un Barbier de Séville endiablé. Les petits décalages entre scène et fosse (le festival proposait une unique représentation du chef-d’œuvre de Rossini dont la mécanique aurait nécessité sans doute quelques instants supplémentaires de mise au point…) furent balayés par l’humour et le dynamisme des chanteurs, notamment Renato Girolami (Bartolo) et Juan Diego Florez (Almaviva). Le premier campe un docteur barbon ridicule mais attachant et le second « s’éclate » en séducteur vocalisant : la scène dans laquelle il se déguise en professeur de musique pour s’introduire auprès de la belle Rosine est irrésistible. Dans un « private joke » partagé avec une salle entière, le voici même qui se présente en Riccardo Muti avant de mimer les tics les plus expressionnistes des stars du piano : on s’y croirait !
* La direction musicale enthousiasmante du chef allemand Constantin Trinks pour Le Chevalier à la Rose de Richard Strauss. L’orchestre du Staatsoper miroite et éclate de mille feux dans cette musique si bien écrite qu’elle en donne le vertige. On sent que toutes les forces instrumentales et vocales maîtrisent haut la main leur sujet (Kirill Petrenko, réputé pour son exigence et le raffinement de son travail, a assuré les représentations lors de la saison 2013-2014) et peuvent donner ainsi le sentiment d’improviser. Il n’est pas un solo instrumental qui ne caresse ou ne chatoie, pas un grand tutti qui ne déferle comme une vague puissante. Et que de couleurs, de textures, de grains différents dans les sonorités. Dès la première note jusqu’à l’accord final, en passant, notamment, par l’introduction orchestrale de l’Acte III, d’une étourdissante beauté.
* Ce même Chevalier permet de découvrir une jeune voix formée à Munich, que Nikolaus Bachler, le patron du Staatsoper, juge à raison « plus que prometteuse » : celle de la Sud-Africaine Golda Schultz, soprano -au ravissant physique- dont le timbre argentin mais fruité s’épanouit dans le merveilleux rôle de Sophie. Un très long phrasé sans heurts, un aigu facile et nuancé et une forte présence scénique sont au nombre des atouts de cette artiste que l’on a hâte de réentendre.
* Un mois de festival avec une programmation aussi variée soir après soir, ce sont aussi de savoureuses retrouvailles avec quelques chanteurs dans des ouvrages différents. Ainsi le Baron Ochs de Peter Rose, dans Le Chevalier à la Rose, se métamorphose en intriguant Basilio du Barbier de Séville, tandis que notre cher Renato Girolami, alias Bartolo, chante également dans La Force du Destin : il y est un formidable Fra Melitone. Avec sa vocalité quasi-rossinienne, ce rôle léger dans un ouvrage que ne l’est guère permet à Verdi d’accuser, par contraste, l’implacable tragédie qui accable ses héros.
* Parlons-en de cette Force du Destin. Comment ne pas penser alors à Carlo Bergonzi, décédé le 25 juillet qui fut un inoubliable Alvaro le malheureux héros de l’opéra de Verdi ? Une précieuse place permit de vivre, le 28 juillet, quatre heures de rêve éveillé. Tant pis si Martin Kusej ne fait aboutir aucune de ses idées (cousues de fil blanc) dans une mise en scène dont la laideur n’est guère rachetée par une direction d’acteurs plutôt musclée. Tant pis si Preziosilla trouve en Nadia Krasteva une interprète à la voix triviale et à la ligne de chant « intermittente ». Soutenus par la direction musicale
solide d’Asher Fisch, les autres solistes et les excellents chœurs du Staatsoper font un sans faute. La souveraine Anja Harteros (quelques petites délicatesses avec l’intonation sont compensées par une noblesse et une palette de nuances impressionnante), le terrible Ludovic Tézier dont la soif de vengeance s’exaspère d’acte en acte et Jonas Kaufmann, halluciné et bouleversant, sont les protagonistes d’un des plus beaux opéras de Verdi. Existe-t-il musique plus intense et plus déchirante que celle du duo entre Alvaro et Carlo au quatrième acte ? Existe-t-il incarnation plus sauvage et plus cruellement sublime que celle du ténor allemand et du baryton français ?
* N’ayant pu trouver de billet pour le 25 juillet (la première des trois représentations de cette Force du Destin), je me suis consolée avec un concert de solistes de l’Orchestre du Staatsoper au Théâtre Cuvilliés. Belle consolation, grâce au Mozart inspiré de la Gran Partita, sérénade servie au plus haut et poétique niveau par treize instrumentistes exceptionnels menés par le hautbois suprêmement éloquent de Giorgi Gvantseladze, digne ancien élève de François Leleux…
Plus chanceuse pour la dernière des trois Force, le 31 juillet, je m’apprêtais à revivre les émotions du 28. Mais, Jonas Kaufmann annulant sa participation pour cause de maladie, la soirée allait s’avérer bien différente. Le téméraire Zoran Todorovich remplace courageusement son collègue défaillant… et défaille lui-même dans un rôle qu’il n’a pas (plus ?) la forme ni la force vocale d’endosser -on se souvient l’avoir entendu très convaincant à la Monnaie de Bruxelles dans ce même rôle et, quelques années plus tard, déjà moins vaillant à Paris. Rien ne va et la comparaison avec Jonas Kaufmann entendu l’avant-veille est éprouvante. On admire d’autant plus Ludovic Tézier qui parvient à conserver sa superbe vocale et dramatique (et son intonation !) dans les duos qui l’opposent à cet Alvaro en méforme.
Une déception -de taille- mais qui ne peut faire oublier tous les ravissements qui l’ont précédée…