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Bratislava, opéra ancien, opéra nouveau

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En prévision de représentations françaises et luxembourgeoises à venir en mai, le Théâtre de Caen a permis à quelques chanceux de découvrir une nouvelle production d' »Arsilda, Regina di Ponto  » de Vivaldi, coproduite avec l’Opéra de Bratislava, capitale de la Slovaquie.

Le nouveau Théâtre national de Bratislava
Le nouveau Théâtre national de Bratislava

Le spectacle (très réussi, j’y reviendrai lors des représentations hexagonales) s’est donné dans le nouveau bâtiment du Théâtre national de Slovaquie, inauguré il y a dix ans dans un quartier en pleine expansion de la ville. Une salle moderne, dont le dessin en éventail et la pente bien conçue laisse penser qu’il n’y a guère de mauvaises places pour le spectateur. Sans être exceptionnelle, l’acoustique est elle aussi « accueillante », même lorsqu’il s’agit de restituer les subtilités et couleurs pastels d’un ouvrage baroque dont ni les voix, ni l’orchestre ne déclenchent des tsunamis de décibels…

Façade de l'Opéra de Bratislava édifié au XIXe siecle
Façade de l’Opéra de Bratislava édifié au XIXe siècle

Bratislava possède aussi son opéra ancien (« Cosi fan tutte » de Mozart actuellement à l’affiche), salle à l’italienne de la fin du XIXe siècle, sur le modèle décliné dans tant de villes d’Europe centrale à la même époque. Une restauration brutale en 1972 y a hélas ajouté un lot discracieux de moquettes et peintures brunâtres, de rampes d’escalier désespérément  rectilignes, de lustres et autres appliques lumineuses du plus déprimant effet…

Dans l'Opéra de Bratislava...
Dans l’Opéra de Bratislava…

Il n’empêche, cette salle qui espère maintenant un nouveau – et plus délicat – coup de frais, à l’instar de la Philharmonie située juste en face, exhale un charme nostalgique, bénéficie de jolies proportions, ménage de mystérieux recoins et s’enorgueillit d’un balcon avec vue imprenable sur l’une des plus belles perspectives de Bratislava.

Toute proche de la frontière autrichienne, riche d’un centre-ville ravissant (sans oublier une gastronomie originale et savoureuse!), Bratislava recèle ainsi de fiers atouts pour séduire le mélomane qui rêve d’élargir ses horizons…

Et s’il est curieux d’art contemporain, il poussera jusqu’à la Danubiana, musée sur l’eau où l’attend une promenade baignée de lumière et bercée par le doux bruit du fleuve. Distillant une ambiance qui magnifie les œuvres exposées dans et autour de ce bâtiment à la silhouette blanche et épurée. Si apaisante.

Les œuvres se détachent sur le Danube et sa rive au loin.
Les œuvres se détachent sur le Danube et sa rive au loin.

À très bientôt !

 


Telle musique, telle salle

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La Seine musicale et la coupole qui recouvre son Auditorium
La Seine musicale et la coupole qui recouvre son Auditorium

Baignée par la lumière changeante du fleuve, la « Seine musicale » ouvre ses portes sur l’île Seguin en avril prochain. Le bâtiment a été dessiné par les architectes Shigeru Ban et Jean de Gastines.

Une longue et harmonieuse (280 mètres) rue intérieure distribue les différents espaces, artistiques et commerciaux, et les accès aux deux salles de concert qui sont la raison d’être de ce nouveau complexe culturel à l’Ouest de la capitale. Il affiche la louable ambition de faire se rencontrer, sur un même site, des publics d’âges, de pratiques culturelles et de goûts musicaux très divers. A l’instar de la Philharmonie de Paris (à l’Est de la ville) si on lui adjoignait le Zénith voisin…

Deux salles donc pour deux types bien distincts de manifestations, de finesse acoustique et de proximité entre public et artistes. Ici, la musique amplifiée ; là, les concerts acoustiques. Ou, si l’on veut résumer – au risque de simplifier – : les musiques « actuelles » versus le répertoire « classique ». 

Au-delà du volume et de la jauge de ces espaces (jusqu’à 6 200 places pour la première contre 1 150 pour sa petite sœur), l’esthétique des lieux manifeste et confirme la  différence que nous faisons, sans songer à mal d’ailleurs, entre les exigences un peu frustes d’un spectateur de « variété » (aussi flou que soit ce terme) et celles, plus délicates, d’un mélomane. Question de « distinction » eût dit un célèbre sociologue !

La grande salle peut contenir jusqu'à 6 200 places
La grande salle peut contenir jusqu’à 6200 places

La grande salle, de noir vêtue, sacrifie avant tout à la sophistication des équipements techniques de la scène afin d’accueillir aussi bien le concert inaugural de Bob Dylan qu’une reprise de West Side Story. Il y a même une « configuration patinoire », à toutes fin utiles… Les spectateurs, debout ou assis, bénéficient d’une assez bonne visibilité, même au plus haut du balcon, mais ils devront se satisfaire d’une ambiance plutôt lugubre et sans fioritures. Et pour s’asseoir, de spartiates fauteuils de bois (les meilleures places ont tout de même droit à un petit rembourrage toilé…) dont le dessin austère et la couleur tristounette évoquent quelque gymnase de l’ancien bloc soviétique…

Dans l’auditorium de 1 150 fauteuils, le standing est tout autre. Comme si l’on pénétrait enfin dans le temple prestigieux de la haute culture à laquelle il convient d’offrir un écrin raffiné : bois couleur miel dont les alvéoles, tressages et vaguelettes recouvrant les parois, sont tout autant destinés à charmer l’œil qu’à contenter l’oreille. Et voici des sièges capitonnés du plus beau rouge théâtre pour favoriser le confort et la concentration de l’auditeur… Un cocon raffiné et chaleureux, dominé par un plafond en nid d’abeille, signature à la fois pure et ouvragée de Shigeru Ban…

Bois blond et sièges rouge pour l'auditorium classique
Bois couleur d’ambre et sièges rouges pour l’auditorium classique

Bien des enquêtes révèlent que le public de la musique classique peine, d’une part, à se diversifier socialement et, d’autre part, à contenir un vieillissement alarmant dès qu’il s’agit de se projeter dans l’avenir. Et pourtant, on lui construit encore de bien belles salles ! Dans un élan optimiste, on saluera la confiance que les pouvoirs publics placent dans un futur ô combien incertain, tablant courageusement sur le succès des politiques de démocratisation culturelle sans cesse recommencées.

Et même si l’on envisage un futur moins riant, ne faut-il pas toutefois se réjouir de voir accompagnés avec tant de prévenance les derniers feux de cette mélomanie en voie de disparition ?

A très bientôt !

Les cordes soyeuses de l’Ondif

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Le chef d'orchestre Enrique Mazzola
Le chef d’orchestre Enrique Mazzola

À la Philharmonie de Paris, l’orchestre national d’Ile-de-France (Ondif) se produisait hier soir sous la direction d’Enrique Mazzola. 

Un concert où Ravel régnait en maître après l’entracte tandis que la première partie proposait huit des « Chants d’Auvergne » de Canteloube, pièces qui conviennent fort bien à la voix charnue de Marianne Crebassa. Elle a su trouver des accents gracieusement languissants dans la « Brezairola » (berceuse), jusqu’à évoquer la divine Frederica von Stade… 

C’est pourtant les deux « Manon » du programme qui m’ont le plus convaincue et, surtout, le plus émue. Tout d’abord l’ouverture de « Manon Lescaut », l’opéra-comique d’Auber, une rareté pleine de piquant mais aussi de fraîche tendresse que le chef et ses musiciens ont « racontée » avec un charme indéniable, une énergie primesautière. Enrique Mazzola insuffle à cette musique aimable et bien faite tout ce qu’il aime chez Rossini, compositeur qu’il fréquente assidûment !

Petit extra non annoncé au programme, l’Intermezzo d’une autre « Manon Lescaut », sous la plume de Puccini cette fois, introduisait la seconde partie de la soirée. Quelques mesures d’un lyrisme contenu, désespérément poétique, sous l’archet du violoncelle et de l’alto, avant que, éperdu d’amour (comme Des Grieux envouté par la trop belle et trop légère Manon), tout l’orchestre ne s’épanche en un flot passionné où l’on entend même çà et là le souffle sublime de « Tristan »…

Dans la première comme dans la seconde de ces Manon, l’Ondif a exhalé de magnifiques lignes mélodiques et mélodieuses, ses pupitres de cordes, en particulier, n’ayant rien à envier – bien au contraire ! – à certaines phalanges mieux « classées » au palmarès des orchestres français. 

Violons unis dans leur frémissante douceur, sans la moindre acidité, altos moelleux et chantants, violoncelles et contrebasses au timbre profond, jamais pâteux. 

Et l’on devine quel bonheur éprouve Enrique Mazzola à se plonger corps et âme dans cet éloge en musique des sentiments exacerbés, de la joie insouciante jusqu’à la tragédie. 

Pourquoi il faut aller écouter Christian Gerhaher !

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gerhaher_cjimrakete_-sonyclassical_cover_d02_104_0Samedi 25 mars, au Théâtre des Champs-Elysées, l’Orchestre des Jeunes Gustav Mahler sera dirigé par Daniel Harding. Schoenberg, avec ses Cinq pièces pour orchestre, et la Deuxième Symphonie de Schumann composent le menu symphonique de la soirée tandis que, objet de mon petit billet du jour, « Les Nuits d’été » de Berlioz en constituent le coeur instrumental et vocal.

Christian Gerhaher en sera l’interprète, avec sa voix souriante dans la « Villanelle » et « L’île inconnue », mélancolique et passionnée dans « Le Spectre de la rose ». Elle revêtira aussi les couleurs du désespoir résigné pour errer « Au cimetière » ou « Sur les lagunes ». Et celles de l’attente fiévreuse, angoissée, face à l' »Absence »…

Il s’avère pourtant que ce concert n’est pas plein et que le TCE propose encore des places. Si vous me permettez un conseil amical – et néanmoins insistant – et que vous êtes disponible le 25 mars à 20 heures, prenez aussitôt votre téléphone ou saisissez la souris de votre ordinateur pour réserver un billet !

Laisser passez une occasion d’écouter Christian Gerhaher (en « équipe » avec son complice Daniel Harding qui avoue une immense admiration pour le baryton allemand) serait vraiment dommage.

Pourquoi se priver de cette voix claire, naturelle et chaleureuse ; de cette intelligence suprême du texte, de sa plastique comme de sa signification ; mais aussi d’une diction française de grande classe (comme son incarnation de Pelléas l’a prouvé) ; d’un phrasé souple et élégant ; d’une maîtrise accomplie du souffle ; et de cette émotion intense qui lui est propre, alors que jamais cet artiste pudique ne sur-joue ou ne sur-chante… On pourrait décliner à l’envi les qualités d’un chanteur qui se prend si peu pour une star que son immense talent reste bien (trop) discret.

D’où la fervente « page de publicité » que voici, fondée sur d’inoubliables expériences : un Orfeo bouleversant, un Pelleas infiniment subtil, un Faust (de Schumann) mythique… et tant de « liederabende » où chaque mélodie prenait vie avec incandescence, charme et noblesse.

A très bientôt !

Les sublimes costumes de Tim Van Steenbergen

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Un scène de Trompe-le-mort au Palais Garnier
Un scène de Trompe-la-Mort au Palais Garnier

Aussi futile que puisse paraître cet aveu, les deux choses que j’ai, et de loin, préférées dans « Trompe-la-Mort » de Luca Francesconi, créé jeudi 16 mars au Palais Garnier, sont :

1/ Le bref mais poignant monologue de Lucien de Rubempré juste avant sa mort. Il faut dire que le ténor Cyrille Dubois lui apporte les trésors de son style et la grâce de son émotion.

2/ Les costumes signés Tim Van Steenbergen, en parfait accord avec la mise en scène de Guy Cassiers et ses décors très classieux, auxquels le styliste à d’ailleurs contribué. Si les vêtements masculins sont magnifiques, étoffes lourdes et formes graphiques du plus heureux effet, la parfaite poésie vient surtout des robes de ces dames,  femmes du monde ou du demi-monde…

Elles sont fluides et seyantes, souples et ondoyantes. Leur forme directement démarquée de la mode du XIXe siècle magnifie les silhouettes, minces ou plus voluptueuses. Quant à leurs motifs, ils rendent hommages aux classiques imprimés « d’époque » tout en s’en libérant, comme si un maître de l’Action Painting était passé par là.

Que d’interprétations possibles de la robe noire d’Esther, éclaboussée d’un jaune éclatant qui s’accorde si joliment à la beauté brune de Julie Fuchs. S’agit-il de coulées de lumière, aussi pure que le cœur de cette courtisane amoureuse ? Ou, à rebours, de la trace grossière des doigts avides de Nucingen plongés dans l’or corrupteur ? Ou encore de rayons solaires mais désordonnés, impuissants à adoucir le destin tragique de la vulnérable Esther ?

Pour plagier les mots de Lucien, on serait tenté d’écrire que Luca Francesconi, inspiré mais écrasé par le gigantesque Balzac, a « voulu faire une œuvre plus grande qu’il ne pouvait la faire ». En revanche, Tim Van Steenbergen possède pleinement les moyens de ses ambitions.

A très bientôt !

NB. Au théâtre mais aussi à la ville, le créateur possède un diable de talent…

Une robe dessinée par Tim Van Steenbergen
Une robe dessinée par Tim Van Steenbergen

À l’opéra, vive l’orchestre !

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Hartmut Haenchen dirige Tristan et Isolde à Lyon
Hartmut Haenchen dirige Tristan et Isolde à Lyon

Tout récemment, quatre soirées lyriques ont montré des visages très différents de l’importance, de la prépondérance même, de l’orchestre dans une production lyrique. Remarque des plus banales mais que je ressens le besoin de raviver, d’autant que nous avons bien souvent tendance à expédier en quelques mots nos impressions sur la direction musicale d’une représentation, alors que nous disséquons et commentons généreusement sa mise en scène et son plateau vocal.

Sa situation dans la fosse, caché du public, le ou la chef apparaissant au mieux comme un homme ou femme-tronc émergeant de ce chaudron où bouillonne la matière instrumentale, contribue à fondre l’orchestre dans le décor, à le considérer comme le simple soutien – solide ou fragile, trop insistant ou trop discret, gris ou coloré…- des chanteurs.

Bertrand de Billy dirige en alternance Carmen à la Bastille
Bertrand de Billy dirige en alternance Carmen à la Bastille

Lors de la première de « Carmen », la phalange de l’Opéra de Paris a paru jouer les utilités, avare de contrastes et de passion, en mal de poésie, de charme et même de virtuosité, sous la baguette ce soir-là peu imaginative de Bertrand de Billy. Les musiciens qui viennent d’interpréter avec un tel zèle et un tel engagement « Lohengrin » de Wagner considéreraient-ils une nouvelle production de Carmen comme un exercice de routine moins gratifiant ? Alors que la partition de Bizet déroule merveille sur merveille – le début de l’acte III, pour n’en citer qu’une !

Trompe-la-Mort de Luca Francesconi est dirigé au Palais Garnier par Susanna Mälkki
Trompe-la-Mort de Luca Francesconi est dirigé au Palais Garnier par Susanna Mälkki

Encore l’Orchestre de l’Opéra de Paris dans « Trompe-la-Mort » de Luca Francesconi, avec un effectif particulièrement fourni, enrichi de timbres inhabituels (clavecin, accordéon). Une création interdit par définition toute comparaison mais il m’a semblé que, dans la fosse du Palais Garnier, Susanna Mälkki alliait précision et ferveur, galvanisant ses « troupes », tirant des cordes des froissements surréels et des percussions des envolées spectaculaires. Si l’œuvre ne m’a guère séduite par son manque de tension émotionnelle et de progression dramatique, force est de reconnaître que l’orchestre imposait sa stature.

Premier Flûte enchantée pour Christophe Rousset à l'Opéra de Dijon
Première Flûte enchantée pour Christophe Rousset à l’Opéra de Dijon

A Dijon, un incontestable chef-d’œuvre du répertoire, « La Flûte enchantée » de Mozart. Jolie distribution vocale, à quelques nuances près, et mise en scène tournant un peu court à partir d’une « idée originale » qui, in fine, ne l’est pas tant que cela. Pour sa première Flûte, Christophe Rousset entraîne ses Talents lyriques sur un tempo vif, animé, parfois au détriment de l’unanimité avec la scène et, surtout, de la tendresse. Mais soudain, lorsque Pamina, sauvée du sucide par les trois jeunes génies de l’histoire, rejoint Tamino pour le guider à travers le feu et l’eau, le chef est touché par le miracle mozartien. S’épanouit alors un moment de pure grâce, baigné de sonorités boisées, caressantes et mystérieuses. À elles seules, ces dix minutes inoubliables légitiment la nouvelle production d’une œuvre si difficile à restituer dans sa perfection.

Lyon enfin avec « Tristan et Isolde ». Quant il s’agit de Wagner, personne ne conteste plus le rôle de tout premier plan confié à l’orchestre. Comment ne pas se laisser submerger par ces flots d’une beauté si enivrante qu’elle vous ravit et vous oppresse ? Dans la salle, les lumières s’éteignent et le silence s’installe. Las, les premières mesures du Prélude ne convainquent pas : la texture instrumentale sonne bien mince, bien sèche, la direction d’Harmut Haenchen manque de flamme, de ferveur. Va-t-il falloir subir un « Tristan » blême, fade ? Heureusement, avec le premier crescendo de la partition, avec la première dilatation qui ouvre à un monde inouï de fièvre amoureuse et musicale, l’orchestre et son chef brisent leurs chaînes. Pour s’en libérer radicalement, définitivement et magistralement jusqu’au point d’orgue final.

Cyril Auvity, Orfeo de tous les prodiges

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Une scène d'Orfeo de Monteverdi avec Cyril Auvity
Une scène d’Orfeo de Monteverdi avec Cyril Auvity

Voici quelques notations sur l’Orfeo de Monteverdi vu et entendu le 20 mars à la Philharmonie de Paris. 

  • Lorsque l’on pénètre dans la salle, les éléments de décor, rochers « rustiques » et feuillages en plastique posés sur le plateau, font un peu frémir, surtout lorsque, triste coïncidence, reviennent en mémoire les lumières, formes et couleurs ensorcelantes, exaltantes, de la production de Trisha Brown pour le festival d’Aix en 1998…
  • Ces craintes seront vite dissipées par la grâce modeste mais éloquente de la gestuelle et par la cohésion de la proposition scénique. Instrumentistes et chanteurs forment une communauté poétique et musicale autour d’Orfeo, sous le regard bienveillant d’Apollon incarné par Paul Agnew, le maître d’œuvre de cet émouvant spectacle. 
  • Dans le rôle-titre, Cyril Auvity est exceptionnel ! L’Orfeo idéal auquel le public de la Philharmonie réserve, en toute spontanéité et en toute justice, un accueil triomphal au moment des saluts. La voix est à son zénith, égale sur toute la tessiture, claire et chaude à la fois, corsée mais sans le moindre empâtement. Et quel style, quelle souplesse dans l’émission et la diction ! La sobriété des lignes et la griserie de l’ornementation se répondent avec un art si consommé qu’on croirait que l’artiste  invente poème et musique bien plus qu’il ne les interprète. Il y a bien longtemps, Monteverdi n’aurait-il pas écrit cette partition sublime en pensant à lui ?? On entend beaucoup de bons, voire de très bons, chanteurs. Pourtant à ce niveau de charme vocal, d’intensité émotionnelle et d’intelligence, c’est beaucoup plus rare !

Remarque annexe : Mise en scène oblige, la Philharmonie était hier plongée dans le noir et les projecteurs braqués sur la seule scène. Dispositif heureux qui favorise grandement la concentration des spectateurs et que, je l’avoue, j’aimerais voir étendu à tous les concerts…

Tamas Varga, un musicien… musicien

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Le violoncelliste Tamas Varga
Le violoncelliste Tamas Varga

C’est un sacré musicien !
Que peut bien vouloir dire une telle formule quand, précisément, elle s’applique à… un musicien ?
Signifiant implicitement qu’il y aurait des musiciens « musiciens » et d’autres qui le sont moins, voire pas du tout.

Mettre des mots sur l’émotion sonore est toujours une gageure mais il est si difficile de résister au plaisir de faire partager ses impressions que, même maladroitement, on s’y essaie encore et encore.
Et la solution, puisée dans la panoplie des compliments, consistant à qualifier un musicien de « musicien » n’est peut-être pas si basique qu’il y paraît. La tautologie peut cacher en effet quelque louange argumentée.

Hier soir (22 mars) au Théâtre des Champs-Elysées, la prestation de Tamas Varga dans le Concerto pour violoncelle de Dvorak, accompagné par les Wiener Philharmoniker sous la direction ample et généreuse d’ Andriss Nelsons, a déployé toutes les qualités du musicien « musicien » : dévouement à l’œuvre, sobriété et concentration, émotion qui naît des notes et non de l’ego de l’artiste, sens très fin de la narration, technique mise au service de l’expression, fluidité et magie sonore (irrésistible dans le deuxième mouvement) dont la puissance et la grâce vous prennent presque par surprise.

On peut certes apprécier davantage de « sauvagerie » ou de traits débridés, voire arrogants, dans ce concerto qui trouve des ambassadeurs forts convaincants parmi les musiciens « acteurs », par contraste avec les musiciens « musiciens ». On peut aussi goûter un timbre plus « slave », charriant dans ses harmoniques toute la tradition et la culture, savante et populaire, du « monde d’hier » comme aurait dit Stefan Zweig.

Mais que de noblesse et d’élégance dans cette tenue instrumentale dont l’humilité se conjugue avec le raffinement et la virtuosité avec un usage profondément vocal, profondément touchant, du vibrato qui se prolonge dans l’après de la note, qui n’est pas encore le silence… Et fait battre le cœur de l’auditeur.

Violoncelle solo des Wiener Philharmoniker, Tamas Varga entre en scène, joue et salue avec la classe discrète et souriante de ceux qui ne se prennent pas pour des stars. Pas un geste inutile, ni une mimique « pour la galerie ».
En parfait accord avec son affiliation à la confrérie si précieuse des musiciens « musiciens »…

À très bientôt !


À Garnier, accord et désaccord

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Aude Extrémo était Ursule dans "Béatrice et Bénédict" de Berlioz
Aude Extrémo était Ursule dans « Béatrice et Bénédict » de Berlioz

Ils se chipotent, se raillent, s’invectivent même et… s’adorent. Béatrice et Bénédict, héros Shakespeariens mis en musique par Berlioz, ne cessent de « se chercher » et finiront par se trouver.

Vendredi 24 mars au Palais Garnier, ce délicieux opéra-comique s’invitait pour une représentation unique en version de concert gentiment mise en espace par Stephen Taylor, sous la direction de Philippe Jordan. Au menu donc, le désaccord de façade et l’amour profond entre deux esprits aiguisés, deux âmes rebelles, deux êtres si épris de liberté qu’ils hésitent à la soumettre aux « chaînes » sentimentales, aussi douces soient-elles.

Sabine Devieilhe incarnait Héro dans "Béatrice et Bénédict"
Sabine Devieilhe incarnait Héro dans « Béatrice et Bénédict »

Ici donc, une poétique du désaccord. Et, là – instant de grâce de la soirée – les sortilèges de l’accord entre deux voix : celles de Sabine Devieilhe (Héro) et d’Aude Extrémo (Ursule). Le soprano pur et charmeur, ondulant comme clair ruisseau, de la première et le mezzo charnu de la seconde, avec une sorte de tout petit grésillement qui lui confère une singulière personnalité, se retrouvent enlacés à la fin de l’acte I. Dans un long duo nocturne ineffable, sans doute la plus suave et la plus belle page de l’œuvre. L’oreille envoûtée y reconnaît les amours de Didon et Enée mais aussi les frissons des Nuits d’été

Sur le plateau, soutenu avec tendresse par l’orchestre, les deux timbres s’allient merveilleusement. Et l’on aimerait (après le spectacle évidemment !) qu’un acousticien vous explique pourquoi ces deux voix vont si bien ensemble. Comment expliquer que la blonde Sabine (toute mignonne dans sa robe de soie grège) et la brune Aude (allure d’héroïne du cinéma des années 1950), soient aussi convaincantes dans la conjugaison de leurs différences vocales qu’elles le sont, scéniquement, par leurs contrastes physiques ?

Cette divine alchimie sonore se produit parfois mais, si l’on y réfléchit,  rarement avec une telle évidence. Et je ne sais pourquoi, hier, j’ai pensé aux couleurs – bleu doux et changeant aux reflets métalliques, vert légèrement cuivré – que Madame Vigée-Lebrun associe dans le vêtement de la comtesse Skavronskaia, l’un des trésors du Musée Jacquemart-André…

En lisant le programme du spectacle, on découvre qu’Aude Extrémo est programmée prochainement dans le Requiem de Verdi, au Grand Théâtre de Bordeaux. Il faut espérer que la soprano qui chantera avec elle possèdera un timbre aussi magique dans sa complémentarité que celui de Sabine Devieilhe. C’est hautement souhaitable dans le Recordare, absolument indispensable (mais pas si fréquent) dans le Sanctus.

A très bientôt !

 

Version de concert, une autre mise en scène

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Passion sur fond de Terreur
Passion sur fond de Terreur

Une excellente critique d’André Chénier donné lors d’une unique représentation dimanche 26 mars au TCE a été publiée sur le site Forum Opéra et j’invite tous les mélomanes à la lire si ce n’est déjà fait. Je ne vois guère ce que je pourrais ajouter de plus qui ne soit plate redite…

Cette soirée, comme celle du vendredi 24 au Palais Garnier (Béatrice et Bénédict de Berlioz, m’invite en revanche à livrer deux ou trois petites remarques sur le mérite et les limites d’un opéra en version de concert. On entend souvent dire que le procédé a au moins ceci de bon qu’il protège de toute mauvaise mise en scène. Qualité par défaut donc. Mais pas seulement.

Je commencerai pourtant par quelques bémols : pas de mauvaise mise en scène mais pas de bonne non plus ; la présence un peu déséquilibrée de l’orchestre sur la scène (sauf à Garnier qui avait laissé chef et instrumentistes dans la fosse mais la chose est relativement rare); l’habillement parfois discordant des solistes, surtout chez les dames. Détail futile me direz-vous ? Pas tout à fait, si l’on songe que le spectateur « en prend » pour plusieurs heures et qu’une robe à volants vert printemps au côté d’un fourreau à paillettes rose fuchsia peut, à la longue, provoquer des sensations agaçantes… Un peu de concertation chromatique ne nuirait pas !

Faut-il ranger parmi les atouts ou parmi les obstacles, les jeux de scène plus ou moins coordonnés – et plus ou moins naïfs – des chanteurs, mimant sentiments et situations autant que leur en laisse le loisir le mince « trottoir » laissé par l’orchestre à l’avant-scène et qu’ils sont souvent réduits à arpenter de long en large ? A moins qu’un parti-pris beaucoup plus statique ne soit d’emblée adopté, chacun restant rivé derrière son pupitre.

La soprano Anja Harteros
La soprano Anja Harteros

Exposé ainsi à l’œil et à l’oreille du public, les artistes apparaissent dans une sorte de nudité, de présence primaire, souvent très émouvante. Hier soir, Anja Harteros, s’est littéralement déployée de la terre jusqu’au ciel, de l’obscurité à l’éclat le plus irradiant, dans son grand air de l’acte II. Traversée par la musique, vibrant de tout son art, charnel et spirituel, elle a non seulement stupéfié la salle par une ligne de chant exceptionnelle et une voix de déesse mais aussi par la transfiguration que l’opéra opère (avec mauvais jeu de mot) sur son interprète. Et, par son intermédiaire, sur chacun d’entre nous.

Certes, une grande et belle mise en scène offre (mieux même) la même révélation. Mais, dans la version de concert, elle nous frappe de manière tellement simple, tellement « crue ».

Pour revenir au rapport plateau/fosse, mention spéciale à certaines  mises en espace associant sur scène les voix et les instruments de manière inattendue et flexible : pour créer, le temps d’une aria ou d’un ensemble,  un climat sonore particulier, un alliage de timbre plein de charme ou de grandeur. A ce titre, j’avoue attendre avec impatience les trois opéra de Monteverdi par John Eliot Gardiner, maître en la matière, comme il l’avait prouvé, par exemple, dans Falstaff, il y a bien des années au Châtelet.

A très bientôt !

L’irréductible solitude du spectateur

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La salle se vide, les impressions demeurent...
La salle se vide, les impressions demeurent…

On dit souvent, et l’on a raison, que rien n’est plus saisissant, plus émouvant, plus prenant, qu’une salle entière emportée dans un seul et même élan. Un somptueux orchestre dirigé par un chef charismatique, un pianiste dont le toucher tutoie le ciel, un chanteur à la voix muée en or liquide… créent un phénomène collectif, proche de la transe.

Chacun se sent alors, paradoxalement, cloué au fond de son fauteuil et comme appelé, aimanté, par la scène : notre pauvre corps devient le terrain de jeu de forces contraires et nous sortons de la représentation ou du concert, épuisé et ravi.

Pourtant, cette expérience vécue en groupe ne s’accompagne-t-elle pas d’une sensation encore plus puissante – et totalement inverse en apparence – à savoir une conscience de soi décuplée ? Un concentré de solitude ou, du moins, de singularité, qui provoque une griserie, teintée parfois d’un soupçon de frayeur. Frayeur provoquée par un affinement inattendu de nos perceptions et notamment de notre ouïe qui se met à tout entendre, au-delà de ses possibilités coutumières – y compris les perturbations, toux, raclements de gorge et autres froissements de programme qui nous paraissent encore plus nocifs et dont, de manière tout à fait excessive, nous voudrions voir les auteurs aussitôt transformés en statues de sel !

Lorsque, durant la représentation d’André Chénier, donné au TCE dimanche dernier, Jonas Kaufmann s’est défendu avec un passion farouche face au tribunal révolutionnaire ou que, quelques instants plus tôt, Anja Harteros a trouvé les accents les plus poignants pour évoquer sa fuite éperdue et son angoisse de jeune aristocrate plongée dans la Terreur, je suis persuadée que chacun d’entre nous a senti se tisser un lien unique avec ces extraordinaires artistes. Il était parfaitement évident que l’un et l’autre ne s’adressaient qu’à nous, qu’ils n’étaient là que pour nous.

A-t-on envie ensuite, les applaudissements calmés et la lumières revenue, de partager ces impressions si personnelles avec nos compagnons d’écoute ? Force est d’avouer que pas toujours… Ou seulement avec ceux dont on sait que, similaires ou divergents, les avis les arguments sauront se frayer avec douceur, avec bienveillance, un chemin jusqu’au cœur de cette singularité merveilleuse mais si fragile.

Et charge à nous, bien sûr, de faire preuve d’une semblable délicatesse à leur endroit.

A très bientôt !

La musique adoucit Twitter

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img_0117Depuis que je me suis convertie à Twitter, je suis les messages de nombreuses personnes que je ne connais pas et ne connaîtrais sans doute jamais. Des particuliers et des « communiquants » d’associations, institutions ou entreprises auprès desquels je collecte beaucoup d’informations mais aussi d’opinions (critiques de concerts et de spectacles notamment) dont certaines se révèlent tout à fait précieuses et intéressantes.

Bien sûr, je me suis également abonnée aux comptes de personnes ou entités que je fréquente et apprécie : j’aime retrouver régulièrement leur actualité et découvrir rituellement (souvent le matin dans l’autobus, sauf au moment où il passe devant les Invalides qui méritent, qui exigent, qu’on lève le nez de son smartphone, jamais lassé de leur glorieuse beauté) leurs petits haikus numériques… 

J’admire au passage la manière dont beaucoup de rédacteur manient les # et autres @ auxquels je dois avouer que je ne comprends pas grand chose, essayant un peu au hasard d’en agrémenter tel ou tel de mes propres messages. Un collègue de La Croix, avisé et bienveillant, essaie de me tranquilliser sur ce point mais cette gaucherie persistante me fait tout de même un peu honte…

Afin de limiter la vague des tweets en tous genres qui pourrait enfler et se muer en une lame ravageuse si je n’y prenais garde, je cantonne – à peu près – mes abonnements au seul domaine de la musique classique. Et je me dis que j’ai raison… 

En effet, on entend dire, tout particulièrement en ces périodes politiques et sociales inquiètes (et passablement inquiétantes), que les réseaux sociaux sont devenus le déversoir peu ragoûtant de propos sans nuances et de déclarations à l’emporte-pièce, quand il ne s’agit pas tout bonnement d’injures ou de mensonges en mauvaise et due forme. 

Or, dans le secteur musical auquel je me suis limitée, je ne lis rien de tout cela ! Parfois, bien entendu, quelques remarques vives, quelques opinions tranchées, quelques émotions exprimées d’une plume piquante… Mais toujours tracées d’une main responsable qui sait réfréner les méchants emportements et abandonner en coulisses les phrases blessantes.

La plupart du temps, ce sont au contraire des enthousiasmes qui brûlent d’être partagés, des compliments qui désirent se répandre sur le réseau, des invitations à assister à un concert, à écouter un jeune artiste, à célébrer l’anniversaire d’un compositeur célèbre ou oublié. Et si des messages ouvertement publicitaires se glissent dans le fil, notre esprit critique sait les évaluer pour ce qu’ils sont, sans dramatiser ni se laisser berner. Libre à nous de passer notre chemin et d’ignorer le gazouillis promotionnel. Pour mieux goûter le chant joyeux des oiseaux mélodieux.

À très bientôt ! (sur Twiter notamment…)

Au concert, quelle est la bonne place ?

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Le Palais Garnier
Le Palais Garnier

Ce billet mérite un préambule. Depuis que j’ai l’immense privilège de « couvrir » la rubrique musique classique pour le quotidien La Croix, ma vie de mélomane a radicalement changé. Puisqu’il s’agit d’une activité professionnelle, je bénéficie, gratuitement qui plus est, de très bonnes places donnant accès aux concerts et représentations lyriques.

Les considérations qui vont suivre pourront donc paraître un peu « gonflées » quand on sait combien il peut être difficile et coûteux de se procurer un billet pour certains spectacles… Je m’y risque cependant. Prenant excuse d’une vie passée (et future, un jour ou l’autre) où j’ai expérimenté toutes les places, de la cave au grenier !

Il y a quelques jours, lors d’une ouverture provisoire de l’Opéra Comique (pour la « vraie », il faudra encore attendre quelques jours), je me suis baladée Salle Favart, de l’orchestre (où j’avais été placée pour le concert) à la porte n° 24, donnant accès à la galerie la plus élevée. De ces sièges sur les cimes, on voit plutôt bien la scène – à condition d’être en face – mais en tout petit, presque une vue d’avion… Ainsi, en quelques volées d’escalier, la condition du spectateur change radicalement.

Cette promenade bien agréable dans des étages complètement vidés de leurs spectateurs qui se pressaient au buffet d’après-concert, m’a fait m’interroger sur les caractéristiques d’une bonne place et, par contraste, d’une moins bonne, voire d’une mauvaise.

On me dira que tout dépend de la salle : si l’on est de taille petite ou moyenne, le parterre du Palais Garnier est un piège dès lors que votre voisin de devant est, lui, doté d’une silhouette élevée. Le premier rang, en revanche, est merveilleux pour celui qui aime scruter la physionomie des chanteurs ou danseurs sur le plateau et se noyer dans les flots orchestraux. Constat identique, et même renforcé, à Bastille où j’ai l’impression d’être placée affreusement loin, dès le… 5e rang !

A la Philharmonie de Paris, l’écoute sera de grande qualité de face (parterre et balcons) mais, de côté ou derrière la scène (emplacement favorable, en revanche, pour observer la gestuelle et les expressions du chef d’orchestre), la déperdition sonore s’avère bien gênante, notamment pour les solistes vocaux ou instrumentaux. Salle Gaveau, il faut dédaigner le fond de l’orchestre car l’acoustique y est désastreuse. Mais, expérience récente, le deuxième balcon de côté, très mal doté visuellement, est un bonheur pour l’ouïe ! J’ai le sentiment qu’à l’Opéra de Munich, on est bien partout (j’idéalise sans doute) comme au Wigmore Hall de Londres. En plein air, dans l’été des festivals, force est d’avouer que l’on entend souvent assez mal, même aux places réputées les meilleures, mais la tiédeur nocturne, la douce brise parfumée et la lueur des étoiles ne font-elles pas tout oublier ?

Tant de facteurs personnels s’ajoutent à la réalité objective. Inconfortables et frustrantes, les places sans visibilité du Théâtre des Champs-Élysées accueillent une communauté mélomane fervente dont l’ambiance semble parfois beaucoup plus stimulante et amusante que celle des prestigieuses corbeilles. A Bastille les soirs de Premières, on peut ironiser en regardant, depuis les hauteurs, les occupants des fauteuils réservés au invités de marque, histoire d’évaluer qui est « in » et qui est « out ». Avec le (vaniteux) sentiment de supériorité du passionné d’opéra considérant le politique ou le people qui se pavane – l’honnêteté incitant toutefois à distinguer parmi ces nantis les authentiques amateurs et les ostentatoires…

La salle Pleyel
La salle Pleyel

Nombre de mes premières émotions musicales sont nées Salle Pleyel (vers le 10e rang d’orchestre) et au Palais Garnier où mes parents prirent plusieurs années durant un abonnement dans une deuxième loge de face. Nous partagions ce petit salon musical tendu de rouge avec une famille italienne éminemment sympathique…

Que n’a-t-on entendu plus tard sur l’acoustique médiocre de la Salle Pleyel ! Mais pour moi, elle demeure attachée à de tels souvenirs (M. Pollini, C. Abbado, A. Brendel, M. Perahia…) que je reste en deuil de son « abandon » à la variété et aux musiques amplifiées.

Quant au Palais Garnier, je n’y connais rien de plus favorable acoustiquement et de plus convivial que les deuxièmes loges de face !

A très bientôt !

 

Quand viendra la saison nouvelle…

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Quelques brochures de saison musicale...
Quelques brochures de saison musicale…

Côté météo, le printemps est là un peu partout en France à quelques nuances près. Les froids ont disparu, la nature est toute folle : il faut surveiller feuilles et fleurs du coin de l’œil, les unes et les autres profitant sans vergogne d’un instant d’inattention pour pousser en douce et nous surprendre.

Quant aux oiseaux, ils semblent à peu près habitués au retour des beaux jours et au triomphe de la lumière. Leurs cris (très) matinaux sont désormais moins exubérants. Tels des chanteurs envisageant de futures prises de rôle éprouvantes, ils ménagent leur gosier qui sera sollicité tout l’été.

Côté politique, ce printemps tout neuf est moins réjouissant, suscitant une attente inquiète et un épuisement des commentaires, aussi aiguisés et pertinents soient-ils… On voudrait en avoir fini, on redoute d’en avoir fini.

Côté musique, après quelques semaines qui procurèrent leur lot de découvertes et de ravissements (dont j’ai tenté de rendre compte dans quelques billets récents), le rythme se détend un peu. Salles de concert et églises ouvrent leur portes aux traditionnels – et souvent remarquables – concerts de Pâques où Passions, Leçons de Ténèbres et Stabat Mater prouvent s’il en était besoin la puissance émotionnelle et spirituelle du répertoire baroque.

Mais le printemps commençant invite aussi le mélomane à regarder loin, bien loin… dans le temps et parfois sur la carte de géographie. Opéras et salle de concert, d’ici et d’ailleurs, publient en effet leur saison nouvelle – comprenez 2017/2018 – que l’on ouvre fébrilement (Ah! cette accumulation de brochures de taille et styles différents qui remplaceront bientôt celles de l’année en cours) ou que l’on consulte sur Internet.

C’est un moment excitant, plein de promesses : l’on découvre si les rumeurs lancées par des gens « informées » se confirment ou non. Voici tel théâtre, tel auditorium, jusqu’ici ignoré ou négligé, qui prend soudain un relief inattendu. Où faudra-t-il aller pour voir et entendre ses artistes préférés ? Est-ce possible, est-ce raisonnable d’envisager Munich  (quelle affiche !) et Vienne, Milan et Amsterdam, Londres, Madrid et New York ? Et dire que j’allais passer à côté de cette pépite cachée au détour d’une page ! Voilà au contraire un concert qui va susciter l’engouement mais qui ne me tente pas du tout… Et ce chef, pourquoi vient-il si peu en France ? Et cette production lyrique au plateau vocal en or massif, répondra-t-elle aux attentes ? Et ce jeune violoncelliste, n’est-ce pas enfin un programme propice à le mettre dignement en valeur ? Et, et, et !?

On sait bien que dans un an, viendra le temps de mesurer les envies réalisées et les projets restés lettres mortes, les divines surprises et les déconvenues. Et l’on s’étonnera comme toujours d’avoir si vite oublié les expériences un peu ternes, un peu moyennes, que notre mémoire a le bon goût de remiser très vite dans ses tiroirs. Mais en attendant, sus aux agendas : à nous deux, saison nouvelle !

A très bientôt !

Les candidats connaissent-ils la musique ?

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img_0118Dernière roue du carrosse, belle oubliée, quantité négligeable… La culture se voit qualifier de noms et expressions pessimistes pour signifier combien les candidats à l’élection présidentielle ne la placent pas au rang de leurs priorités.

Pourtant aucun d’entre eux ne répondrait qu’il s’en moque comme d’une guigne si on l’interrogeait spécifiquement sur le sujet. Seulement, en période de chômage endémique, de menace terroriste, d’explosion de l’Union européenne et d’inquiétude face aux pouvoirs américain et russe, le dynamisme de la création et la préservation du patrimoine figurent très loin sur la liste des indispensables.

La démocratisation culturelle est sans doute un peu mieux lotie, du moins dans les intentions programmatiques, grâce à sa coloration sociale, à  ses liens avec l’éducation et au fort sentiment de culpabilité provoqué par la béance de la fracture culturelle. Elle qui semble résister à toutes les bonnes intentions et, plus préoccupant encore, aux actions menées pourtant avec constance par maintes institutions et associations culturelles, grandes ou plus modestes.

Hier soir, le débat qui a opposé les dix messieurs et l’unique dame à briguer nos suffrages s’est concentré (le terme a quelque-chose de comique si l’on songe que l’émission à tout de même duré toute une soirée !) sur un choix de thèmes essentiels – l’angoissant chômage en ouverture de séance, la sécurité en guise de plat de résistance – d’où la culture et les arts étaient, à quelques rares étincelles près, écartés (1).

L’audiovisuel ou, plus globalement l’industrie culturelle, n’ont pas été considérés davantage. Que les Français consacrent en moyenne trois heures par jour à regarder la télévision et une heure et demie à écouter de la musique ne change rien à l’affaire. Ces pratiques – et ne parlons pas du spectacle vivant ou de la littérature – ne semblent pas mériter que les candidats s’affrontent, voire s’empoignent, en leur nom.

J’espère que vous me pardonnerez ce billet grincheux. J’avais l’intention pourtant de débusquer çà et là au cours du débat quelques remarques et propositions favorisant les arts et la culture. J’avais l’espoir que l’un ou l’une des candidats s’autoriserait une petite divagation, ne serait-ce qu’un instant, hors du chemin balisé qui leur était proposé. Que tel ou tel digresserait librement sur le surplus d’humanité que nous donnent la contemplation d’une œuvre ou la pratique de la musique (que Jacques Cheminade affirme pourtant, dans son programme, vouloir replacer au cœur de la politique d’éducation), de la peinture, de la danse…

Au chapitre musical, il n’est guère à retenir que le générique, pourtant très oubliable, de ce débat, trame sonore anonyme sur laquelle défilait à l’écran les visages et les noms des candidats. Un fond d’accords graves, une guirlande sinueuse plus aiguë, plus énergique, évoquant, certes de bien loin, un motif de Bernard Herrmann, le compositeur favori d’Alfred Hitchcock… Fallait-il entendre « en sous-texte » une allusion inquiète au suspense qui plane plus que jamais sur le vote à quelques semaines du premier tour ?

Et si, histoire de réconcilier dans un sourire musique et élection, nous écoutions le réjouissant album de la Clique des Lunaisiens intitulé Votez pour moi ! Manière plaisante – et plus sérieuse qu’il n’y paraît – de pendre un peu de distance avec l’histoire immédiate.

À très bientôt !

(1) On notera tout de même que Marine Le Pen a déploré qu’en France « on ouvre des musées, on n’ouvre plus d’usine« … tout en voulant « inscrire dans la constitution la protection de notre patrimoine historique et culturel« , notion à laquelle elle confère comme on l’imagine une acception bien particulière. Que Benoît Hamon a fait de Pagnol et Chateaubriand deux parangons de la diversité littéraire : populaire versus aristocratique, procençale versus bretonne, on ne sait pas bien… Ou que Jacques Cheminade, lyrique, a appelé de ses vœux un grand musée de l’imaginaire pour que les productions de l’art soient à la portée de tous, invoquant alors les mannes de Jean Vilar…

 

 


Vacances, vacances…

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Venise...
Venise…

Une semaine de vacances va mettre ce blog en sommeil ou presque.

A bientôt !

À Strasbourg, Berlioz en majesté

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Saluts à la fin de la représentation des Troyens, le 15 avril à Strasbourg.
Saluts à la fin de la représentation des Troyens, le 15 avril à Strasbourg : Joyce DiDonato, Michael Spyres et John Nelson.

« La musique, ce n’est pas si difficile. Mais le texte !.. »

Le regard brillant et le sourire radieux, Joyce DiDonato reçoit avec simplicité les compliments de spectateurs encore sous le coup de l’émotion. En coulisses, la mezzo américaine, dans sa robe de concert couleur capucine, se montre disponible et charmante, heureuse de cette prise de rôle conquérante. Elle est l’un des incontestables atouts de cette version des Troyens de Berlioz, donnés samedi 15 et lundi 17 avril à Strasbourg et enregistré par le label Erato pour une future sortie en CD. On l’attend avec impatience.

Joyce DiDonato en coulisses après la représentation
Joyce DiDonato en coulisses après la représentation

La voix de Joyce DiDonato, si aisée du haut en bas de la tessiture, a pris depuis quelque temps une ampleur et une moirure nouvelles sans pour autant nous priver de ces sons filés suspendus dans l’éther. Si bien que la chanteuse peut construire admirablement son personnage : Didon, jeune reine de Carthage admirée et pourtant solitaire; puis amoureuse sereine qui s’abandonne enfin dans un duo d’une beauté indescriptible; femme délaissée, enfin, passant par toutes les couleurs du désespoir, vengeur (dans un délire rageur absolument stupéfiant !) ou accablé.

Jusqu’à l’immolation finale qui renvoie à la grandeur tragique de l’Antique et plonge la salle dans un silence sidéré. Et si le texte lui a semblé un véritable défi, Joyce DiDonato a su le relever superbement, fidèle non seulement à la prosodie française mais aussi au balancement de la phrase, à ses élans et à ses langueurs.

Le chef américain John Nelson
Le chef américain John Nelson

Il est bien d’autres raisons de saluer ces Troyens proposés par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.
L’orchestre précisément, passionnément et victorieusement engagé (souplesse des cordes, autorité des percussions,  vaillance des cuivres, charme de la petite harmonie, grâce des harpes… et ce solo de clarinette d’une poésie mozartienne) dans cet œuvre-fleuve, sous la conduite experte de John Nelson qui aime et connaît son Berlioz. Au moment des saluts, le chef lèvera la partition, comme on le ferait de tables de la loi musicale, pour la faire légitimement ovationner par un public chauffé à blanc.
Les chœurs manifestent aussi un enthousiasme et une présence indéniables et si la masse sonore semble parfois un peu saturée et l’élocution floue, la faute en incombe sans doute davantage à l’acoustique très vibrante de la salle du Palais de la musique et des congrès strasbourgeoise qu’aux chanteurs eux-mêmes.

 

Marie-Nicole Lemieux, fiévreuse Cassandre
Marie-Nicole Lemieux, fiévreuse Cassandre

Autre prise de rôle, la Cassandre de Marie-Nicole Lemieux. Le personnage a trouvé sa chanteuse et la chanteuse son personnage. Possédée par la musique de Berlioz et par les angoisses de la prophétesse troyenne, l’artiste donne tout, infiniment généreuse. Plus l’action précipite les Troyens vers l’abîme et plus l’expression gagne en douleur éperdue, en noblesse blessée, en vaine sagesse. Graves de bronze, médium charnu et aigus au vibrato ample mais maîtrisé… le « matériau » est magnifique et l’intensité de l’actrice bouleversante.

De Troie à Carthage, Enée est un héros « en marche » (!?). Vers cette Italie dont l’appel résonne tantôt comme une promesse, tantôt comme une menace. Lui aussi traversé par le flot homérique et virgilien de la musique, le ténor Michael Spyres déborde de jeunesse et d’ardeur. Sa diction impeccable, la lumière de son timbre un peu « à l’ancienne », la richesse et la sensibilité de son médium se révèlent fort séduisantes. Il est, avec Joyce DiDonato bien sûr, l’admirable artisan de ce duo d’amour sur les cimes de l’art. Dès qu’il aura gagné ce petit supplément de confiance et de « laisser faire » qui lui manque encore çà et là, Michael Spyres sera un incontestable Enée.

Stéphane Degout, Chorèbe d’une classe folle, Marianne Crebassa, Ascagne de grand luxe, Cyrille Dubois, modèle d’élégance et de flexibilité vocale ou Stanislas de Barbeyrac dont on goûte autant le style que le timbre solaire, concourent – au sein d’une distribution quasiment irréprochable – à la réussite éclatante d’une soirée au long cours (plus de cinq heures mais on en redemande !) comme on en vit rarement.
Sa cohérence et son intelligence artistique doivent aussi beaucoup aux travailleurs de l’ombre qui ont préparé les chanteurs pour en faire  une véritable équipe musicale. Elsa Lambert et Jeff Cohen notamment, les deux « répétiteurs et coaches de langue » – ah! la question épineuse et passionnante des liaisons… – de cette production que l’on rêverait d’entendre reprise prochainement.

À très bientôt !

Une affaire de mémoire

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L'agenda 2017 de la Pléiade
L’agenda 2017 de la Pléiade

Je ne sais pas vous, mais de mon côté, j’ai recours depuis deux ou trois ans à un petit agenda (très joli d’ailleurs puisqu’il s’agit de celui édité par Gallimard au format de la Pléiade) dans lequel je note les concerts auxquels j’assiste. Une ou deux phrases de commentaire accompagnent chacun. Parfois un cruel « RAS » ou un « bof » désappointé… et peut-être injuste. Mais aussi – et régulièrement en cette année 2017 – des exclamations admiratives et autres signes positifs en nombre : « ++++++ »

Cet aide-mémoire trouve un usage professionnel – chaque fin d’année, nous aimons à La Croix proposer à nos lecteurs une rétrospective subjective des événements théâtraux, musicaux, chorégraphiques, littéraires… du millésime qui s’achève. Mais il est aussi d’une aide personnelle. Et cette béquille me sera certainement de plus en plus nécessaire, au fur et à mesure que passera le temps et que faiblira ma mémoire !

A chaque fois que j’y note quelques mots, je me pose et me repose justement la question de la mémoire de nos émotions artistiques. Ayant une tendance à l’emphase, j’use régulièrement du mot « inoubliable » en évoquant tel concert ou telle représentation lyrique, tout en sachant que des performances ainsi qualifiées, je ne retiendrai in fine que fort peu de choses vraiment précises. Une impression d’ensemble bien sûr, des moments particulièrement forts souvent, mais si restreints au regard du colossal travail des interprètes et de l’immense talent de certains d’entre eux.

Corina Belcea, Première violon et fondatrice du Quatuor qui porte son nom
Corina Belcea, Première violon et fondatrice du Quatuor qui porte son nom

Au Wigmore Hall de Londres, en février dernier, le Quatuor Belcea donnait les ultimes quatuors à cordes de Schubert et de Chostakovitch. Sur mon petit agenda-Pléiade, j’ai noté une quantité de « ++++++ » à la mesure de mon enthousiasme. Mais s’il me fallait rappeler aujourd’hui le déroulement de ce concert sublime, tout serait tellement impressionniste : ici, des frissons désespérés comme la plainte d’un spectre las ; là des cris lancés par l’archet rageur blessant les cordes. Et soudain, un océan de calme olympien, avant que derechef ne souffle la tempête. Et puis ? Quelques autres souvenirs, flous, hésitants. Et cependant, le sentiment incroyablement intense d’avoir vécu un concert d’exception garde, lui, ses contours les plus nets et son empreinte la plus durable.

Les Troyens de Berlioz à Strasbourg
Les Troyens de Berlioz à Strasbourg

Encore toute tremblante des Troyens de Berlioz superlatifs entendus avant-hier à Strasbourg, je sais bien que d’ici quelque temps, et même assez peu vraisemblablement, la mémoire de la mort de Cassandre, incarnée par Marie-Nicole Lemieux possédée par la fulgurance de son rôle, ou le duo d’amour d’une irradiante sensualité entre Joyce DiDonato et Michael Spyres (Didon et Enée), deviendra elle aussi plus évanescente. Certes, je revivrai la sensation du cœur qui bat, très vite et comme au fond de la gorge, puis, le spectacle achevé, la joie enfantine d’aller féliciter les artistes en coulisses. Mais de la musique elle-même, de ses couleurs, de ses nuances, de ses suavités et de ses brisures, que restera-t-il réellement ?

Alors, aussi vague et succinct soit-il, je veille jalousement sur mon petit agenda.

A très bientôt !

La douce musique des phrases

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captureCe matin, dans l’autobus, j’ai ouvert un nouveau livre. Mon trajet m’a permis d’aller de la page 9 (celle où commence le roman) à la page 27. Sur un volume de 232 pages, ce n’est certes pas beaucoup. Mais suffisamment cependant pour stimuler ou décourager le désir de poursuivre la lecture.

Ce désir existait déjà, l’auteur de « La vie serait simple à Manneville » étant l’un de mes collègues à La Croix, Pierre Cochez, dont j’avais déjà beaucoup apprécié le récit autobiographique, « Tel fils », publié en 2015 chez Phébus. J’ai donc grande envie de continuer l’aventure à travers ce nouveau volume, un roman cette fois, édité aux Escales.

En quelques pages, nous faisons connaissance avec le personnage principal, un jeune homme prénommé Bruce qui ranime des souvenirs et sensations d’adolescence. Quand le métro est arrivé à bon port et que j’ai dû refermer le livre, un drame venait de le frapper et un sentiment mortifère de culpabilité semblait vouloir envahir ce héros ordinaire. J’en saurai plus en abordant la page 28… Le destin de Bruce me touchera j’espère, mais rien ne me permet encore de l’assurer.

En revanche, dès maintenant et quel que soit le chemin que prendra le récit de Pierre Cochez, je sais que je goûterai durablement la musique singulière de ses phrases. Presque indépendamment de ce qu’elles évoquent, de ce qu’elles racontent.

À quoi tient ce charme ? Rien de spectaculaire, de délibérément original ni d’alambiqué dans un style classique, une plume sobre. Le vocabulaire est raffiné mais limpide, la ligne claire. Brèves souvent, doucement rythmées, harmonieuses dans leur simplicité, ces phrases provoquent une émotion proche de celle que fait naître une mélodie de Fauré ou un lied de Schubert. Leur juxtaposition se fait ici rupture, là enchaînement ou balancement, avec une science des contrastes très subtile. Elles s’aparient volontiers, comme une question et sa réponse, le flux et le reflux.

Il y a d’ailleurs un je-ne-sais-quoi d’aquatique dans leur flexibilité : « Je parlais pour deux. Il observait pour quatre, puisqu’il passait la majeure partie du temps muet, à contempler le théâtre qui l’entourait. » « J’invitais Armand à Manneville. Il m’invitait à Ferrières. » « Une table de bridge me sert de bureau. Elle a des dimensions colossales dans cette chambre de lilliputien. »…

Et puis, même lorsqu’elles décrivent une situation où un sentiment apparemment neutre, voire heureux, ces phrases sont empreintes d’une tristesse discrète, que l’on devine pourtant profonde. Sans pouvoir dire exactement pourquoi. Cette tristesse fait du bien, comme celle que le mélomane recherche en écoutant et réécoutant les pages qui lui font monter les larmes aux yeux. Des larmes où la gratitude se mêle à la mélancolie. À parts égales.

La quatrième de couverture du livre de Pierre Cochez promet un « roman atmosphérique ». Je découvrirais bientôt si j’adhère ou non à cette définition. Mais d’ores et déjà, je peux affirmer que « La vie serait simple à Manneville » est un roman musical. Quand bien même la musique s’y invitera un peu, beaucoup ou pas du tout.

A très bientôt !

Tous en Seine !

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La silhouette de la Seine musicale sur l'Île Seguin à Boulogne
La silhouette de la Seine musicale sur l’Île Seguin à Boulogne

Et de deux ! Après la Philharmonie de Paris, sortie de terre en 2015 au nord-est de la capitale, voici la Seine musicale, amarrée à Boulogne-Billancourt sur l’Île Seguin. Cap à l’ouest donc !

Hier soir, samedi 22 avril, ce nouveau complexe inaugurait l’une de ses deux salles : l’auditorium dédié au répertoire classique. (Ma collègue Nathalie Lacube rend compte sur le site de La Croix du concert de Bob Dylan proposé dès le vendredi 21 dans l’autre salle, destinée, elle, aux musiques amplifiées).

Chaleureux, accueillant, élégant avec ses harmonies de bois fauve et ses fauteuils (très confortables !) rouges, l’intérieur de l’auditorium (1 150 places) aura vite fait oublier les petits ratés précédant le concert. Ratés conjoncturels avec les interminables discours de rigueur lors d’une inauguration (pourquoi n’en finirait-on pas une bonne fois pour toute avec cette tradition de comices agricoles ?). Ratés plus structurels également causés par l’engorgement à l’entrée de l’auditorium, son vestibule étroit, desservi par deux escalators tristounets, prenant rapidement les allures d’un quai de métro aux heures de pointes. Il y a là un problème de flux qui demandera quelques ajustements…

Laurence Equilbey, en résidence à Boulogne avec son Insula Orchestra, avait imaginé un concert de fête devant remplir plusieurs objectifs : faire sonner l’auditorium bien sûr et en montrer les possibilités techniques (netteté de l’acoustique, effets de sonorisation de la voix parlée, jeux de lumières, spacialisation des solistes et des choristes dans la salle…), honorer le répertoire de prédilection d’Insula – de Mozart à Weber – mais aussi délivrer quelques messages sociaux et politiques sur le rôle de la musique en nos temps troublés.

Bien choisis et bien enchaînés, des extraits de Die Gärterin aus Liebe de Mozart (version en allemand de La Finta Giardiniera) puis du Freischütz de Weber font briller quelques étoiles du chant français dont le ténor Stanislas de Berbeyrac qui, décidément, mûrit et nourrit de concert en concert son timbre lumineux (il était l’un des artisans des formidables Troyens strasbourgeois évoqués il y a peu…) et laisse clairement  percevoir les héros vaillants qu’il pourra bientôt incarner.

Au comédien Nicolas Carpentier revenait la délicate mission de raconter sur un mode humoristique (qui tombait souvent à plat mais sans grand dommage) l’histoire de l’île Seguin tandis que, projetées sur une guirlande d’écrans en fond de scène, des images explicites prenaient prétexte du livret de Die Gärterin aus Liebe pour rappeler ici, les combats féministes, là les luttes sociales et, enfin, la nécessité d’accomplir son devoir de citoyen en allant voter.

Quand le visage du nouveau président se dévoila, on découvrit bien évidemment celui de… Mozart ! Ce mélange de naïveté et de ferveur militante, de kitsch (le sommet devant être atteint avec l’illustration des diableries du Freischütz) avait quelque chose de déconcertant mais aussi de plutôt sympathique…

C’est à la soprano Sandrine Piau que l’on dut le moment de grâce de la soirée. Sa voix argentine à la jeunesse inaltérable se plie aux difficultés et aux sortilèges du chant mozartien avec la souplesse naturelle que l’on sait. Soudain, dans la cavatine d’Agathe du Freischütz, son chant se métamorphose en un rayon de lune, en une vapeur légère et enivrante. Les aigus filés, le souffle gracieux, la mélancolie souriante de cette Agathe vêtue d’une longue et superbe robe noire de nocturne sirène vous transportent au paradis de la musique.

La soirée s’est achevée – excellent idée – par La Fantaisie chorale de Beethoven, à l’effectif un peu trop copieux pour l’auditorium dont l’acoustique lisse, propre, voire un peu sèche (pour ma part, placée au centre du rang I du parterre, j’aime assez cela) semble alors se saturer. Jusqu’ici, la texture sonore était agréable, rendant justice aux nuances et trahissant les brutalités, révélant le moelleux d’un timbre instrumental ou l’acidité d’un autre… Mais la superposition de l’orchestre, des voix solistes et chorales et du piano, tenu par l’excellentissime Bertrand Chamayou, apparaît soudain excessive pour les lieux : la définition se perd et l’oreille est (légèrement certes) agressée.

J’avoue m’être alors concentrée, tant il était l’astre de cette Fantaisie, sur le jeu du pianiste, débordant de vie, de couleurs et d’éclat, solide et chantant, fluide et miroitant. Ce « frais soleil des arts« , célébré par le poème enthousiaste de Christoph Kuffner et mis en musique par Beethoven.

A très bientôt !

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