Vue avec retard à l’Opéra Bastille hier au soir, La Fille de neige (Snegourotchka – quel joli nom ! – dans la langue originale) de Rimski-Korsakov m’a semblé un très beau spectacle. Un spectacle touchant surtout, en dépit de défauts dont une distribution vocale inégale, une direction un brin infra, eu égard à la beauté féerique de la partition et à la sensualité de son orchestration, et quelques afféteries dans la mise en scène (j’essaierai d’y revenir dans le compte-rendu qui paraîtra bientôt dans La Croix) qui plongent le spectateur dans la perplexité au lieu de le laisser voguer au gré de ses (grandes) émotions.
Dans ce billet, j’aimerais rapidement écrire combien j’ai été séduite par la manière dont le metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov, également auteur du décor de cette production, intègre les arbres à son dispositif. En un somptueux crescendo d’acte en acte, les arbres prennent en effet l’ascendant sur tout autre élément, transformant le plateau de la Bastille en une immense forêt, très subtilement éclairée de surcroît.
Voici enfin une mise en scène qui utilise pleinement le vaste plateau de l’Opéra, du nord au sud, d’est en ouest et de bas en haut ! La profondeur de champ est saisissante, permettant aux chanteurs de circuler sans entrave, de s’approcher ou de s’éloigner dans des mouvements cinématographiques qui accompagnent la dilatation ou le resserrement du flux musical.
Déroulons le fil… Durant le prologue, point de forêt, la cloison de ce qui pourrait être une salle de classe ou un préau masquant toute végétation. Quand s’efface cette paroi, place à une fraîche clairière encombrée par les caravanes d’une aimable communauté qui prône le retour à la nature et à la vie toute simple. Ces maisons de fortune gênent d’ailleurs un tantinet les danses et autres farandoles auxquelles se livrent nos joyeux lurons. J’ai été alors tentée d’y voir une maladresse scénique jusqu’à ce que la progression du spectacle me fasse comprendre que cette « crise du logement » était parfaitement intentionnelle.
Bientôt, ces caravanes disparaitront à leur tour pour ne laisser que quelques sculptures végétales, effigies exubérantes et naïves, entre les arbres dont les hauts troncs incitent à lever le regard vers le haut. Enfin, il ne restera plus que la forêt se détachant sur l’herbe verte. Immobile d’abord, puis sous l’effet du passage d’une ère à l’autre, du printemps à l’été, mise en mouvement dans une ronde lente et hypnotique qui confère au duo entre Snegourotchka et sa mère une poésie tendre et poignante.
Cet prise de pouvoir de la forêt sur le décor, l’action et la musique elle-même est l’une des plus belles idées qu’il m’ait été données de voir depuis longtemps. La silhouette de brindille de la délicieuse Aida Garifullina s’y trouve tantôt noyée, tantôt magnifiée. Excellente comédienne, la jeune soprano gambade, chavire, se relève, entoure les larges troncs de ses bras, lance les mains vers le ciel ou se retrouve à terre avec une souplesse et un charme sans cesse renouvelés. Fille de neige ou enfant des arbre ?
A très bientôt !