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Un opéra entier dans les arbres… au sujet de « La Fille de neige »à la Bastille

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images-2Vue avec retard à l’Opéra Bastille hier au soir, La Fille de neige (Snegourotchka – quel joli nom ! – dans la langue originale) de Rimski-Korsakov m’a semblé un très beau spectacle. Un spectacle touchant surtout, en dépit de défauts dont une distribution vocale inégale, une direction un brin infra, eu égard à la beauté féerique de la partition et à la sensualité de son orchestration, et quelques afféteries dans la mise en scène (j’essaierai d’y revenir dans le compte-rendu qui paraîtra bientôt dans La Croix) qui plongent le spectateur dans la perplexité au lieu de le laisser voguer au gré de ses (grandes) émotions.

Dans ce billet, j’aimerais rapidement écrire combien j’ai été séduite par la manière dont le metteur en scène russe Dmitri Tcherniakov, également auteur du décor de cette production, intègre les arbres à son dispositif. En un somptueux crescendo d’acte en acte, les arbres prennent en effet l’ascendant sur tout autre élément, transformant le plateau de la Bastille en une immense forêt, très subtilement éclairée de surcroît.

Voici enfin une mise en scène qui utilise pleinement le vaste plateau de l’Opéra, du nord au sud, d’est en ouest et de bas en haut ! La profondeur de champ est saisissante, permettant aux chanteurs de circuler sans entrave, de s’approcher ou de s’éloigner dans des mouvements cinématographiques qui accompagnent la dilatation ou le resserrement du flux musical.

Déroulons le fil… Durant le prologue, point de forêt, la cloison de ce qui pourrait être une salle de classe ou un préau masquant toute végétation. Quand s’efface cette paroi, place à une fraîche clairière encombrée par les caravanes d’une aimable communauté qui prône le retour à la nature et à la vie toute simple. Ces maisons de fortune gênent d’ailleurs  un tantinet les danses et autres farandoles auxquelles se livrent nos joyeux lurons. J’ai été alors tentée d’y voir une maladresse scénique jusqu’à ce que la progression du spectacle me fasse comprendre que cette « crise du logement » était parfaitement intentionnelle.

Bientôt, ces caravanes disparaitront à leur tour pour ne laisser que quelques sculptures végétales, effigies exubérantes et naïves, entre les arbres dont les hauts troncs incitent à lever le regard vers le haut. Enfin, il ne restera plus que la forêt se détachant sur l’herbe verte. Immobile d’abord, puis sous l’effet du passage d’une ère à l’autre, du printemps à l’été, mise en mouvement dans une ronde lente et hypnotique qui confère au duo entre Snegourotchka et sa mère une poésie tendre et poignante.

Aida Garifullina, Fille de neige dans la forêt...
Aida Garifullina, Fille de neige dans la forêt…

Cet  prise de pouvoir de la  forêt sur le décor, l’action et la musique elle-même est l’une des plus belles idées qu’il m’ait été données de voir depuis longtemps. La silhouette de brindille de la délicieuse Aida Garifullina s’y trouve tantôt noyée, tantôt magnifiée. Excellente comédienne, la jeune soprano gambade, chavire, se relève, entoure les larges troncs de ses bras, lance les mains vers le ciel ou se retrouve à terre avec une souplesse et un charme sans cesse renouvelés. Fille de neige ou enfant des arbre ?

A très bientôt !


Est-il bien nécessaire de jouer aussi fort ?

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A la Philharmonie de Paris
A la Philharmonie de Paris

 

Tonnerre d’applaudissements, vivats et rappels. Hier soir, le public de la Philharmonie a salué chaleureusement l’Orchestre de Paris et son chef du jour, James Gaffigan, au terme d’une petite heure passée en compagnie de larges extraits de son célébrissime Lac des cygnes de Tchaïkovski.

En fin de première partie du concert, la salle avait acclamé avec une semblable ferveur la prestation pour le moins musclée d’Arcadi Volodos dans le 2e Concerto pour piano de Brahms. Cette ovation a eu d’ailleurs pour mérite d’inciter l’artiste à nous offrir deux « bis » dans lesquels son toucher jusqu’ici roboratif (et parfois flou dans sa brutalité même) avait retrouvé les nuances, les finesses et ce lien poétique avec le silence que l’on aime tant…

Au sortir de cette soirée efficace plus qu’émouvante, mise en relief par l’acoustique de la Philharmonie qui m’a semblé particulièrement généreuse en réverbération, il était difficile de ne pas se poser une question – renforcée par un léger mal de tête : « Mais pourquoi jouent-ils donc aussi fort ? »  Pourquoi cette déferlante de décibels qui noient les climats sonores, et dieu sait que Brahms et Tchaïkovski n’en sont pas avares !, sous une avalanche de forte et fortissimi.

Par contraste, les rares plages d’accalmie (le troisième mouvement du concerto de Brahms excessivement ralenti et « planant ») ne sont plus ressenties et appréciées pour elles-mêmes mais comme des apaisements bienvenus avant que ne reprennent les hostilités.

La qualité instrumentale (les musiciens de l’Orchestre de Paris ont fait assaut de beau jeu, de délié et de vivacité) n’est pas en cause, pas plus que le dynamisme communicatif de James Gaffigan à la gestuelle de danseur.  Serait-ce alors un parti-pris esthétique, un mal de l’époque accusé par le gigantisme des salles de concert, qu’un proverbe populaire (à moins qu’il ne soit familial) résume ainsi : « tant plus qu’c’est fort, tant plus qu’c’est beau!« ?

Qu’il soit alors permis d’évoquer avec reconnaissance et admirations ces chefs – Mariss Jansons, Esa-Pekka Salonen, Kirill Petrenko…-  qui savent concilier l’apothéose et la maîtrise, l’opulence et l’élégance, la richesse et la clarté. Qui savent vous enrober de son sans jamais vous agresser, solliciter percussions et cuivres sans leur donner pour autant mission de laminer les autres pupitres. Qui nous persuadent que la musique aime à nous transporter, à nous exalter. Pas à nous assommer.

A très bientôt !

SVP, pensez à la musique

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img_2339il y a quelques années, je travaillais pour la rubrique médias de La Croix. Je regardais donc de nombreux programmes de télévision pour en rendre compte dans les pages du quotidien. Films, séries, magazines d’actualité ou de société, documentaires scientifiques, historiques et culturels…

Désormais, je suis avec une bien moindre constance les programmes de télévision mais c’est avec plaisir que je visionne et chronique encore de temps à autre telle émission ou tel reportage.

Je viens ainsi de regarder le premier épisode d’un cycle de deux documentaires de la BBC sur les villes italiennes. Ce volet numéro un nous propose de découvrir les mystères cachés de Venise tandis que le second sera consacré à Naples.

Dans le sillage d’un sympathique et enthousiaste historien britannique, nous passons de haut lieu en haut lieu, Rialto, Arsenal, place Saint-Marc, Gheto, Palais des doges, Grand Canal… Quelques notations historiques ici, quelques remarques badines là, et une ligne directrice affirmée et réaffirmée à chaque plan : Venise c’est le triomphe du commerce, de l’argent et de l’esprit d’entreprise, décliné de palais en marché et de « casino » en place.img_2551

Une cinquantaine de minutes qui passent en un éclair – le sujet étant fascinant et inépuisable -, que l’on oubliera sans doute assez vite après y avoir pris un plaisir superficiel. Mais comment refuser une petite escale vénitienne, même sommaire ?

On pourra s’étonner, alors que la magnificence vénitienne et son goût pour le décorum sont maintes fois mis en lumière par les images et le commentaire, que pas un seul nom d’artiste ne soit cité : ni Bellini, ni Titien, ni Tintoret. Pas davantage Tiepolo ou Guardi. Seul Casanova est mentionné et encore bien davantage pour ses frasques érotiques, son emprisonnement et sa spectaculaire évasion, que pour ses écrits et son entregent culturel.

Tiepolo, les couleurs de Venise...
Tiepolo, les couleurs de Venise…

Quant à la musique, elle est aux abonnées absentes. Pire, elle est quasiment injuriée par la bande-son du documentaire, sorte de soupe fadasse et tiédasse qui pourrait convenir à n’importe quel sujet. Destiné au grand public, le film semble partir, implicitement ou explicitement, du principe que le téléspectateur ne ressent ni le besoin ni l’envie d’une partition à l’image de cette ville sublime parmi les sublimes. Pourtant, devant son écran, le dit-téléspectateur ne serait-il pas en droit d’entendre ne serait-ce que quelques mélodies de Cavalli ou de Vivaldi ? Association peu imaginative qui aurait toutefois le double mérite de la beauté et de la cohérence.

Je n’ose imaginer que la crainte de ne pas « faire moderne » préside au choix d’une musique synthétiqué paresseuse et plutôt bruyante qui rend davantage hommage aux ascenseurs et autres boîtes vocales téléphoniques qu’aux théâtres et églises de La Sérénissime baroque. Il y a certainement là plus d’indifférence et de négligence que de malignité.

Il serait pourtant tendancieux d’accabler ce seul film de tous les maux. Il illustre un phénomène constaté à longueur de grille télévisée. À moins d’être spécifiquement consacrés à la musique, la plupart des documentaires – la palme me semble-t-il aux programmes scientifiques ! – sont bien souvent affligés de bandes-son que je n’hésiterai pas à qualifier de catastrophiques.

Là n’est bien entendu pas la cause la plus urgente à saisir par les défenseurs d’un paysage audiovisuel de qualité. Pourtant, si elle ne révolutionnerait pas l’univers de la télévision, une exigence de recherche  et d’élégance musicales plairait au mélomane sans gêner les autres. En contribuant à la diffusion du répertoire le plus divers, de toutes époques et de toutes traditions, les thèmes abordés par la télévision parcourant hardiment les siècles et les aires géographiques.

A très bientôt !

Le regard malicieux de Jean-Stéphane Bron sur l’Opéra de Paris

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L’Opéra Bastille

C’est presque une faute professionnelle ! Je n’avais pas encore vu le documentaire de Jean-Stéphane Bron sur l’Opéra de Paris, pourtant sorti en salles depuis plusieurs semaines.

Erreur réparée hier en fin d’après-midi, au cinéma Arlequin, rue de Rennes. Petite salle (d’ailleurs bien défraîchie…) mais salle pleine à craquer et assistance d’âges divers, depuis des spectateurs vénérables jusqu’à plusieurs têtes blondes, fort attentives durant toute la séance.

Le film, un documentaire sans voix off, a été très bien accueilli par la critique (lire dans La Croix le bel article de Marie Soyeux) et ce n’est que justice. Même si certaines séquences risquent de rester un peu impressionnistes pour ceux qui ne sont pas vraiment familier de la Grande Boutique, côté Garnier et côté et Bastille, la tonalité d’ensemble et le scénario faussement désordonné se révèlent bien sympathiques. Et fourmillant de trouvailles ou notations malignes et profondes.

Le réalisateur – qui confiait ne guère connaître l’univers lyrique avant d’avoir à y installer ses caméras – a visiblement été à la fois amusé et attendri par les protagonistes comme par les seconds rôles de cette énorme paquebot culturel. Certains, au premier rang desquels Stéphane Lissner, apparaissent tantôt attachants tantôt un peu ridicules. On entend des phrases passées à la moulinette impersonnelle de la communication institutionnelle mais aussi des propos plus spontanés, plus hésitants, qui laissent deviner l’incessant ballet des décisions à prendre. Souvent dans l’urgence.

A ce titre, la conversation téléphonique avec Benjamin Millepied déjà sur le départ est assez formidable. Stéphane Lissner assure le directeur de la danse défaillant qu’il lui a déjà trouver un successeur, en patron expérimenté qu’il est. Bluff ou vérité ? Le spectateur ne sait pas et ce doute ajoute à la dramaturgie de la saynète. Tout en apportant une nuance subtile à la figure de « super-directeur » sur la brèche que peut véhiculer le film…

Le grand escalier de Garnier
Le grand escalier de Garnier

Si les musiciens de l’orchestre et les techniciens de l’Opéra sont les grands absents du film (j’ai ouï dire qu’ils avaient refusé la caméra et s’en étaient trouvé bien marris par la suite…), danseurs et chanteurs, habilleuses et maquilleuses, régisseurs et chefs de chant constituent une galerie de métiers fascinants au côté de l’administration omniprésente.

Le public, lui, n’est là que par flash. On peut le regretter mais force est d’avouer que cela n’affaiblit nullement le film. D’autant que Jean-Stéphane Bron en saisit habilement des visages contrastés. Ici des « peoples » et politiques endimanchés pour un gala avec profusion de fleurs et dîner fin d’après-spectacle ; là, les parents des jeunes bénéficiaires des programmes pédagogiques mené par l’Opéra de Paris pour démocratiser l’écoute et la pratique musicales.

Le documentaire insiste aussi sur la dimension économique de ce public auquel les billets sont vendus cher, voire très cher, au risque de donner « une mauvaise image » de la maison. Business donc mais business artistique et machine à émotions. Voici une danseuse tout sourire et légèreté sur le plateau qui, une fois en coulisses, reprend péniblement son souffle, le regard perdu, le corps cassé en deux. Voici une jeune basse russe au sourire enchanteur et à la voix veloutée qui, élève de l’Académie de l’Opéra, apprivoise en même temps la langue française et les codes du métier.  C’est sans doute lui le véritable héros du film. Voici également les artistes du chœur, collectif dans lequel on identifie pourtant des « premiers plans » et des figures plus discrètes. Ils ont, eux, accepté d’être filmés, quitte à exposer des revendications pas toujours très glorieuses…

Voici enfin un casting de taureau surréaliste pour Moïse et Aaron de Schönberg ou un président de la République qui, le seuil du Palais Garnier à peine franchi, explique étrangement qu’il reviendra… Sans parler de cette séquence délicieuse pendant laquelle, patient mais opiniâtre, Philippe Jordan montre au ténor Toby Spence (David dans Les Maîtres chanteurs de Nuremberg) comment bien prononcer le mot « Wurst » (saucisse) en roulant généreusement le « r ».

La bande-son du film est une formidable réussite. Vous me direz que, s’agissant d’un film sur l’opéra, le contraire eût été des plus fâcheux… Finement travaillée mais jamais maniérée, elle alterne avec grâce les séquences où musique (parfaite ou plus fragile, « finie » ou encore en devenir) et image sont parfaitement synchrones et celles où un décalage entre ce que l’on voit et ce que l’on entend crée une dimension supplémentaire : entre réalité et poésie, vérité et imagination. La musique est alors comparable à la lumière de ces étoiles éteintes qui brillent encore dans le ciel. Le rideau baissé, la représentation achevée, l’opéra chante encore longtemps à notre oreille.

À très bientôt !

Bach-Gardiner, Gardiner-Bach

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img_0136Préparant ma participation au « Club des critiques » de Lionel Esparza sur France Musique (c’était hier soir, vendredi), j’ai écouté très attentivement l’enregistrement de la Passion selon Saint-Matthieu de Bach sous la direction de John Eliot Gardiner.

Il y a pire comme exercice, d’autant que je me souviens avec une émotion presque intacte du concert donné à La Philharmonie de Paris par le même chef, le même orchestre et le même choeur, dans la même œuvre bien sûr. Sans partition, investis dans et habités par la musique de Bach, chanteurs et instrumentistes nous avaient bouleversés, enchaînés par la densité artistique et spirituelle de leur interprétation, alliée à une palette sonore infinie.

Avouons-le d’emblée : l’enregistrement, réalisé à Pise, souffre d’une cruelle absence. Celle de Mark Padmore, évangéliste inouï de justesse et stupéfiant de noblesse douloureuse, que le public de la Philharmonie avait ovationné dans un seul élan d’admiration et de gratitude. James Gilchrist ne démérite pas, émouvant, d’une humanité fragile. Mais la sobriété mystique soudain déchirée par le tragique de son « collègue » semble incomparable…

Cette réserve – et certes, elle n’est pas mince – énoncée, il n’est qu’à se laisser submerger par la plus immense des musiques et par ses admirables interprètes. On dit souvent, mais ce ne sera jamais trop, combien le Monteverdi Choir laisse ébahi l’auditeur par ce mélange parfait de fraîcheur vocale, de virtuosité, de précision, de sens du drame. Et quel charme, quelle présence ! Quelle douceur ineffable et désolée dans le choral « Wenn ich einmal soll scheiden » qui suit La mort du Christ et quelle violence impérieuse dans le choeur « Sind Blitze, sind Donner… », véritable orage vocal ! Il n’est pas une intervention de ces merveilleux chanteurs qui ne soit surprenante ou grisante.img_0137

Comme à son habitude, John Eliot Gardiner confie les airs solistes à certains de ses choristes. Toujours fines et gracieuses,  les voix ainsi exposées hors du collectif souffrent parfois d’une projection un peu mince, d’un charisme limité. En concert, malgré les fragilités, cet « esprit de famille » touche le spectateur et participe de la cohésion, de la fusion entre les forces musicales. À l’écoute de l’enregistrement, les limites sont plus sensibles. Mais plus sensibles aussi, la grâce de la soprano Hannah Morrison au timbre  de rossignol et le velouté de la voix de sa consœur Zoë Brookshaw.

Installés tout proches des chanteurs, les English Baroque Soloists prouvent concert après concert, disque après disque, leur maîtrise vibrante, vivante, de ce repertoire, de ses couleurs, de ses rythmes dansants ou suspendus, de sa sensualité et de sa grandeur sublime. Tout est souple et rien n’est flou ; tout est ciselé et rien n’est sec ; tout est expressif et rien n’est exagéré ; tout est éloquent et rien n’est asséné.

A l’image de la gestuelle du chef, que l’on garde à l’esprit devant sa chaîne hi-fi : attentive à chaque mot – écoutez cet accent sur « Angst » (angoisse) dans le choral évoqué plus haut -, à chaque frottement harmonique, à chaque dilatation de l’émotion, fervente ici, élégiaque là. Et surtout si ondoyante, si organique. Comme une rivière de beauté et de sens qui nous laisse éblouis.

A très bientôt !

 

 

Les arcanes de « Pelléas » selon Louis Langrée

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Louis Langrée dirige "Pelléas et Mélisande" au Théâtre des Champs-Elysées
Louis Langrée dirige « Pelléas et Mélisande » au Théâtre des Champs-Elysées

Pour les besoins d’un entretien paru récemment sur le site internet de La Croix, j’ai eu la chance de rencontrer Louis Langrée au Théâtre des Champs-Elysées. Il réglait alors avec l’Orchestre national de France, les chanteurs et le metteur en scène, Eric Ruf, les dernières répétitions de Pelléas et Mélisande.

Je n’ai pas encore vu cette nouvelle production, mais j’en entends dire le plus grand bien, et mon collègue Bruno Serrou en publie demain une critique louangeuse dans La Croix (édition papier cette fois-ci).

Pour ma part, il me faut encore attendre lundi prochain pour la découvrir et je pense que je confierai quelques impressions à ce blog.

En attendant, j’ai envie de vous raconter un moment de cet échange, sympathique et passionnant, avec Louis Langrée, au sujet du chef-d’oeuvre de Claude Debussy. Il s’agit de son analyse et de ses audacieuses hypothèses  sur les arcanes de cette terrible histoire et de ses mécanismes cachés. A partir d’une simple remarque de Geneviève, le chef d’orchestre met au jour une malédiction qui court de génération au château d’Allemonde.

Je vous livre cette explication bien séduisante (si l’on peut employer ce terme à propos de l’argument tragique de Maeterlinck) et, surtout, très convaincante…

Patricia PETIBON (Melisande) - Jean Sebastien BOU Photo : Vincent PONTET
Patricia PETIBON (Melisande) – Jean Sebastien BOU (Pelléas)
Photo : Vincent PONTET

Tout commence donc par une simple phrase dans laquelle Geneviève déclare qu’elle vit à Allemonde depuis plus de quarante ans. Ainsi, la mère de  Golaud et de Pelléas « n’est pas née là », comme dirait Mélisande : elle est une pièce rapportée dans cette sombre famille.

Continuons. Geneviève est la mère de Pelléas et de Golaud, mais ceux-ci ne sont que demi-frères, avec Arkel comme grand-père commun. Cela implique que les pères de Pelléas et de Golaud étaient frères, tous deux fils d’Arkel, (ils pourraient aussi être cousins, mais ce serait moins romanesque…).

Geneviève a donc épousé successivement les deux hommes : le père de Golaud d’abord puis, en seconde noces, celui de Pelléas. Ce dernier, évoqué dans l’ouvrage n’apparaît jamais en scène : il est gravement malade au début de l’opéra avant de recouvrer la santé au fil des actes.

À partir de cet arbre généalogique malsain, Louis Langrée suppose que le père de Pelléas a tué celui de Golaud avant d’épouser (ou pour épouser) sa femme Geneviève. Le chef d’orchestre va même plus loin, persuadé que le cadavre du frère assassiné repose dans les profonds souterrains où Golaud entraîne Pelléas, lors d’une scène extraordinairement sous tension : Pelléas étouffe et croit respirer une « pâte empoisonnée »!

L’histoire du meurtre d’un frère par l’autre se répéterait ainsi de génération en génération dans cette famille, telle une effrayante malédiction… On comprend mieux le sens de la dernière et désolante phrase d’Arkel, prenant dans ses bras la fille de Mélisande et de Golaud : « et maintenant c’est au tour de la pauvre petite »…

 

S’éclaire également d’une sinistre clarté, l’indulgence d’Arkel à l’égard de Golaud, jusqu’à le dédouaner de la mort de Pelléas qui ne serait « pas de sa faute. » Quelle responsabilité en effet lorsque les personnages sont manipulés par un destin plus fort qu’eux ?

Je laisse à votre réflexion et votre sagacité cette explication de Louis Langrée. Quant à moi, j’écouterai d’une oreille plus attentive que jamais Geneviève déclarer qu’elle vit à Allemonde depuis de longues années…

A très bientôt !

Je t’entendais ailleurs…

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Le ténor Cyrille Dubois
Le ténor Cyrille Dubois

Dans le duo qui, à la fin de l’acte IV, réunit enfin – pour les séparer à jamais – Pelléas et Mélisande, la jeune femme a cette réplique étrange et merveilleuse, « Je te voyais ailleurs« , lorsque Pelléas s’étonne de ne pas croiser son regard.

« Ailleurs« … Que veut dire Mélisande ? Que Pelléas occupe à tel point son coeur et son esprit qu’elle le voit partout, même où il n’est pas ? Ou que, dans une sorte de prescience, elle le voit déjà au-delà du monde, dans la mort, suprême « ailleurs » ? Ou autre chose encore qui se dérobe à l’entendement de l’auditeur ?

Hier soir, au Théâtre des Champs-Elysées, cette petite phrase m’est revenue en mémoire durant la représentation (en version de concert) des Pêcheurs de perles de Bizet. Inscrite dans la série des « Grandes Voix » en collaboration avec l’Orchestre national de Lille, ce fut une superbe soirée, exaltante même, emportée par la direction élancée et opulente d’ Alexandre Bloch, à la tête d’instrumentistes agiles de de choeurs raffinés – Les Cris de Paris aux timbres fruités et juvéniles.img_0142

Julie Fuchs fut une très gracieuse et tendre Leïla, aux aigus de satin et au médium voluptueux, et Florian Sempey – dès qu’il résistait à la tentation des décibels – un Zurga imposant qui gagnerait toutefois à varier les couleurs de sa riche voix.

Mais si la réplique de Mélisande s’est ainsi imposée à moi, c’est à l’écoute de Cyrille Dubois, incomparable Nadir. De la première à la dernière note du rôle, la parfaite intelligence du texte – dont il affronte sans crainte ni effet la préciosité – se double d’une flexibilité vocale délectable. Pas un mot qui ne sonne juste, pas une fin de phrase qui ne se glisse dans le silence comme une caresse. Et ce sens des couleurs, des nuances, ce dégradé indéfinissable qui fait passer de la mélancolie à l’espoir, de la résolution au doute. Sans cesse, l’artiste nous surprend par un accent inattendu mais évident, un très léger mais très émouvant alanguissement.

A la fin du premier acte, Nadir chante une fameuse romance d’une infinie suavité, page qui justifie à elle seule la représentation des Pêcheurs de perles : le public, retenant son souffle, y « attend » le ténor dont les aigus sont sollicités sans pitié. L’orchestre n’est qu’un halo, une gaze délicate qui rend toute tricherie impossible et tout passage en force totalement hors-sujet. Cyrille Dubois y fut tout simplement miraculeux dès le premier couplet, négocié avec naturel, charme et ardeur.

Mais c’est la reprise de cette romance qui atteignit les cimes et nous emporta « ailleurs ». Dans une autre dimension de la musique et de la poésie, défiant les lois de la gravité, ouvrant à un monde insoupçonné. Rares sont les interprètes qui nous invitent dans cet ailleurs. D’immenses  artistes nous enthousiasment ou nous bouleversent mais ce ravissement ne nous fait pas pour autant perdre le sentiment d’appartenir à cette terre.

Et puis, il y a Dinu Lipati dans la Première Partita de Bach, Günter Pichler (Premier violon du Quatuor Alban Berg) dans le mouvement lent des Dissonances de Mozart, Joyce DiDonato en Marie Stuart marchant vers la mort. Et, bien sûr, Jonas Kaufmann, si souvent : dans l’ultime duo de Don Carlos avec Elisabeth, dans le monologue de Parsifal à l’acte II, dans celui de Lohengrin révélant son identité à Elsa, ou encore lorsque pour la première fois Werther songe explicitement au suicide… Hier soir, il y eut Cyrille Dubois dans la romance de Nadir

A ces musiciens-explorateurs de la quatrième dimension, que dire à part « je t’entendais ailleurs »…

A très bientôt !

Mozart à l’Elysées ?

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img_0143Parce qu’il est jeune, rapide, doué, et que son parcours jusqu’à la plus haute fonction à été fulgurant, Emmanuel Macron est régulièrement comparé à Mozart. Même si à 39 ans, ce dernier avait déjà rendu l’âme depuis longtemps…

Devant mon écran de télévision, j’ai regardé avec beaucoup d’intérêt et de plaisir la passation de pouvoir élyséenne, attentive aux extraits musicaux qui en accompagnaient les étapes successives. Les pièces choisies, signées entres autres Saint-Saëns, Brahms ou Offenbach, avaient pour point commun de préférer l’élan et la joie à la grave solennité.img_0144

Et puis, alors qu’Emmanuel Macron commençait la série des saluts et remerciements aux invités alignés en patientes files, l’Air du champagne de Don Giovanni s’est fait entendre, interprété par une belle voix de baryton issue du Choeur de l’Armée française. Voilà donc Mozart, le vrai, convié au Palais présidentiel…

Et le Mozart le plus « explosif » : celui de l’opéra des opéras, dont le héros, grand seigneur méchant homme, se précipite fiévreusement vers son destin. Mené à cent à l’heure, cet air programmatique – séduire le plus de femmes possible en une nuit – fait figure de discours de politique générale pour Don Giovanni, qui s’exprime alors en toute sincérité, en toute folie. Lui, l’éternel dissimulateur, laisse un instant mensonge et masque de côté.

img_0145Le choix d’un tel air, aussi fascinant soit-il, peut étonner : ne sent-il pas un peu le souffre comme « fond sonore » d’une cérémonie officielle, comme hymne de l’intronisation d’un président qui fait des valeurs et vertus républicaines un des socles de son futur quinquennat ?

Bien entendu, la bande-son de la passation ne doit pas être interprétée au-delà du raisonnable ; voir dans Don Giovanni un modèle pour Emmanuel Macron serait tout-à-fait extravagant, même si une farouche énergie anime l’un et l’autre…

On se sera donc étonné et amusé le temps, si génialement bref,  de cet air à la rapacité pétillante, avant de voir Emmanuel Macron poursuivre calmement la litanie des remerciements à ses soutiens, dont Gérard Colomb terriblement ému (et émouvant) et François Bayrou apparement apaisé…

Et l’on se souviendra que le président de la République, alors simple candidat, avait déjà fait connaître sa prédilection pour Don Giovanni et plus particulièrement pour l’Air du champagne. C’était au micro de Radio Classique, la station ayant plaisamment organisé, en marge des l’élections politiques, de sympathiques élections musicales.

A très bientôt !


Renée Fleming-Anna Netrebko, deux visages de l’opéra

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Renée Fleming
Renée Fleming

Samedi au cinéma – dans mon cher Club de

l’Étoile aux dimensions intimes – pour une retransmission en direct depuis le Met et hier mardi à l’Opéra Bastille (moins intime).

Ici, Le Chevalier à la rose de Richard Strauss, là Eugène Onéguine de Tchaïkovski. Dans un cas comme dans l’autre une très belle affiche vocale, dirigée avec flamme et tendresse par Sebastian Weigle à New York, de manière bien moins inspirée à Paris où Edward Gardner à assuré un service standard en lieu et place du lyrisme espéré, exigé.

En Maréchale, Renée Fleming pour la dernière fois. En Tatiana, Anna Netrebko. Si on lit entre les lignes l’entretien que la soprano russe a donné à la revue Opéra Magazine, on peut supposer que ce rôle de toute jeune fille (dans les deux premiers actes de l’ouvrage) ne restera plus très longtemps à son répertoire. Mais pour le moment, point d’adieux d’autant qu’Anna Netrebko explique que la tessiture plutôt grave du rôle convient à sa voix d’aujourd’hui.

S’essayer au petit jeu des comparaisons entre ces deux stars de l’univers lyrique ne rimerait pas à grand-chose. D’autant que Strauss versus Tchaïkovski et l’écran de cinéma versus la scène d’opéra rendraient l’exercice bien hasardeux. Je m’autorise en revanche à mettre en balance l’émotion que j’ai ressentie dans un cas comme dans l’autre. Elle fut d’intensité et de nature bien différentes.

Anna Netrebko
Anna Netrebko

Commençons par Anna Netrebko. Confrontée à l’Onéguine magnétique de Peter Mattei (cet artistes est décidément exceptionnel !), la soprano déploie des moyens vocaux spectaculaires et une homogénéité et une rondeur rare du l’aigu au grave. Et quelle réserve de puissance et de rayonnement dont elle sait user sans en abuser. Mais, étrangement, cette opulence qui procure un enivrement auditif indéniable laisse pourtant l’émotion en lisière, la plupart du temps. Sans doute parce que cette Tatiana solaire manque de fragilité, qu’on l’admire plus qu’on chercherait à la consoler et qu’on peine à imaginer une psychologie rêveuse et mélancolique derrière cette voix d’impératrice de toutes les Russies. Peut-être aussi parce que la volupté sonore se double d’un jeu un brin conventionnel, délibérément dessiné par la mise en scène et qui tient à distance la totale adhésion au personnage. Et puis, soudain, dans l’ultime duo avec Onéguine, le ciel s’ouvre, le plateau est traversé par un frisson de tristesse, sublime. Lorsque les deux voix s’unissent brièvement, avec une infinie douceur, comme un dernier souffle tiède avant les glaces :  » Le bonheur était si proche… Si possible !… Si proche ! »

Grâce à Renée Fleming qui faisait ses adieux à la Maréchale devant un Met comble et suspendu à sa dernière prestation, l’émotion s’est invitée dès le premier acte du Chevalier pour ne plus quitter le plateau. On sait que l’étoffe admirable du timbre s’est un peu lustrée avec les années et que la projection en est moins glorieuse. Mais l’ondoyant phrasé, l’inflexion des lignes, l’épanouissement floral et souriant de la voix, même à travers les larmes contenues de l’un des plus beaux personnages de l’histoire lyrique, demeurent pleinement. Chaque mot de la Maréchale, adieu lucide et désolé à la jeunesse qui passe, vibre de l’identification de la cantatrice laissant à d’autres un rôle dans lequel elle régna sur les scènes du monde entier à la femme tournant la page des amours. Mais jamais cette émotion n’est appuyée ni surjouée. Elle ne nous en étreints que plus puissamment. Et l’on voudrait « arrêter toutes les horloges » pour s’en souvenir à jamais.

A très bientôt !

Daniil Trifonov, poisson d’or et oiseau prophète

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Daniil Trifonov playing at the Verbier Festival 2015. Photo by Nicolas Brodard
Daniil Trifonov –

Il appartient à cette famille des surdoués du piano dont la carrière s’est envolée immédiatement, suscitant l’admiration du public et l’engouement des producteurs du monde entier.

Daniil Trifonov jouait ce samedi soir 20 mai au Théâtre des Champs-Elysées en compagnie de la Staatskapelle de Dresde dirigée par Christian Thielemann. Chef trop corseté dans Pelléas et Mélisande de Schoenberg qu’il prive de blême désolation autant que de passion, en dépit d’une confortable plénitude instrumentale. Mais, ô surprise, chef beaucoup plus à son aise, souple et caressant, dans le bref Prélude du même Pelléas et Mélisande, version Fauré cette fois.

Christian Thielemann et Daniil Trifonov ont uni leurs forces dans le Concerto en sol de Ravel. Unir n’est peut-être pas le terme exact, l’interprétation du soliste échappant bien vite aux lois de la gravité tandis que l’orchestre demeurait ancré au sol. Dualité de nature à provoquer chez l’auditeur une écoute dissociée, phénomène fâcheux dans une œuvre concertante !

Et pourtant, ce concerto fut mémorable. Tout simplement parce que le jeu de Daniil Trifonov ne ressemble à aucun autre, par la magie d’un toucher presque surnaturel. Dès le début du premier mouvement, ses mains semblèrent des poissons d’or évoluant dans une eau limpide, glissant, ondoyant des profondeurs jusqu’à la surface du miroir liquide. Puis elles se métamorphosèrent en oiseaux de paradis, volubiles et bigarrés, dont les notes fusaient très haut dans le ciel en volutes enivrées.

La puissance  et le magnétisme de son discours ne résultent jamais de la force mais, à rebours, d’une finesse dans le trait et d’une délicatesse dans la virtuosité qui tiennent du prodige. Ce pianiste est-il de notre monde ou vient-il nous rendre visite durant les trop courts instants du concert ?

C’est plutôt à un félin nonchalant, entre veille et sommeil, qu’on eut envie de le comparer dans le deuxième  et miraculeux mouvement du concerto. Daniil Trifonov est allé explorer les confins entre le pianississimo et le silence, quitte à se laisser engloutir par l’orchestre qui peinait à le suivre dans ces contrées enchantées. Le musicien nous demandait presque de tendre l’oreille, nous persuadant qu’une musique aussi belle et aussi élégante dans sa simplicite exigeait une sorte d’ascèse, chemin conduisant à la plus parfaite volupté.

Entrendre Daniil Trifonov, c’est entendre un interprète encore très jeune (il est né en 1991) à la technique éblouissante qui prend le raffinement pour étendard. Mais c’est aussi rencontrer un artiste d’une originalité et d’une profondeur rares. Comme s’il était dépositaire d’une très longue histoire de – et avec – la musique, dont il acceptait de nous révéler périodiquement un chapitre. Comme si son jeu prenait sa source très loin dans le temps et dans l’espace pour advenir ici et maintenant. Avec une évidence, avec une assurance au parfum d’absolu.

A très bientôt !

 

Du narcissisme de l’auditeur

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imagesRéellement impressionnée par la prestation de Daniil Trifonov le 20 mai au Théâtre des Champs-Élysées, je me suis demandé pourquoi le pianiste russe m’avait fait un tel effet.

Sans répéter ce que j’ai essayé de résumer dans mon précédent billet, j’aimerais toutefois insister sur un point précis, sans doute une de mes marottes, à savoir l’exploration par certains interprètes de cette ligne ténue entre le son et le silence. Une frontière sensorielle extrêmement fine, parfaitement fascinante.

Il me semble que Daniil Trifonov pousse très loin cette quête, jusqu’à accuser, presque cruellement, la différence entre la délicatesse de son jeu et la présence un peu triviale de l’orchestre, même si celui-ci est, autant qu’il le peut, attentif aux nuances. La sonorité du piano laisse circuler l’air la lumière et les parfums, comme une tasse de « fine bone China » dans laquelle les amateurs de thé aime déguster à petites gorgées leur breuvage favori.

Quand un musicien voyage ainsi aux confins du son, l’auditeur se sent, lui aussi, investi d’une « mission » nouvelle. Tendre l’oreille, mobiliser toutes ses « antennes » pour capter l’entière palette de ce monde situé sur la carte entre le ppp et le pppp, voire le ppppp. Au-delà même… Est-ce donc à dire que, sur scène, l’interprète fait suffisamment confiance à son public, le tient en assez haute estime pour l’inviter à une « écoute augmentée », beaucoup plus subtile, beaucoup plus affûtée. Beaucoup plus concentrée.

J’avoue que mon narcissisme de mélomane se sent flatté (sans parler de mon acuité auditive…), en même temps que s’épanouit l’incomparable émotion que fait naître la suave douceur des sonorités. C’est pourquoi je suis incapable de résister aux pianissimi inimitables de Jonas Kaufmann au IIIe acte de Lohengrin ou dans l’ultime duo entre Élisabeth et Don Carlo ; pas davantage aux murmures du violon de Ginette Neveu dans le mouvement lent du Concerto de Brahms ; ou encore à tous ces instants où Mariss Jansons avec un geste caractéristique, bras le long du corps paumes vers le sol, demande à son orchestre de baisser le son un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Pour ne plus laisser planer au-dessus de nous qu’une gaze légère, légère…

C’est pourquoi également j’attends toujours le cœur battant les premières mesures du chœur à la fin de la Symphonie Résurrection de Mahler. Espérant – en étant, la plupart du temps, vaguement ou positivement déçue – une vapeur sonore, une sorte de buée vocale venue d’on ne sait où qui se répand peu à peu entre les rangées, entre les fauteuils. Espérant surtout ne pas pouvoir identifier le moment précis où les voix font leur entrée : est-ce un rêve de son, est-ce un son réel ?

Venice with the Salute c.1840-5 Joseph Mallord William Turner 1775-1851 Accepted by the nation as part of the Turner Bequest 1856 http://www.tate.org.uk/art/work/N05487
La Salute à Venise (1840-5 ) par William Turner

 

 

Je pense alors à cette toile de Turner découverte cet été à l’Hôtel de Caumont à Aix-en-Provence. Le peintre a représenté l’église de La Salute à Venise, nimbée de brouillard blanc si enveloppant qu’il la dissimule à notre regard. Si bien que, durant quelques longues secondes, nous ne percevons rien ou presque que cette étendue immaculée (la photo ci-dessus est beaucoup plus nette et colorée que le tableau de prime abord !)

Du Martin Barré avant l’heure ? Peu à peu, la silhouette de l’édifice émerge de cette ouate, ses contours se dessinent et une myriade de teintes apparaissent. Du vert tendre, du bleu, du gris tourterelle, de l’oranger même. Quelle récompense, quel bonheur de constater que nous pouvons voir beaucoup plus, beaucoup mieux que nous ne l’imaginions ! Il suffit de prendre le temps.

A très bientôt !

Classiques viennois

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Vienne d'antan
Vienne d’antan

Chanceuse participante d’un voyage de presse dans la capitale autrichienne, j’ai pu, entre autres délices, savourer trois classiques viennois qui n’ont fait qu’augmenter davantage mon amour pour cette ville.

Le hall de l'Hôtel Impérial
Le hall de l’Hôtel Impérial

Le premier fut de loger à l’Hôtel Impérial, fièrement dessé sur le Ring, à deux pas du Musikverein et guère plus loin du Staatsoper. Si je tenais une chronique touristique, je détaillerai avec gourmandise les charmes surannés – mais bénéficiant de tout le confort moderne! – de ce palais qui accueillit et accueille toujours des hôtes de marque.

Un rendez-vous avec l’ancien « chef concierge » Michael Moser, qui joue aujourd’hui le rôle d’archiviste de l’établissement, permit de feuilleter le livre d’or de l’établissement où voisinent, côté musique, les dédicaces de Furtwängler, Stravinsky, Boulez, et même Henri Rabaud qui, le 24 janvier 1929, esquissa quelques notes de « Marouf » au-dessus de sa signature.

Le deuxième bonheur, sous un ciel radieux animé par un vent frisquet, m’a conduite dans le parc de Schönbrunn pour le concert annuel et désormais rituel que donnent les Wiener Philharmoniker chaque printemps au milieu de la verdure. On dit qu’environ cent mille personnes y assistent, depuis les premières rangées d’ « élus » confortablement installés sur des chaises jusqu’aux pelouses sous la Gloriette où s’asseyent les mélomanes à près d’un kilomètre de la scène éphémère et des musiciens.

La scène pour le concert en plain air devant le château de Schönbrunn
La scène pour le concert en plain air devant le château de Schönbrunn

Christoph Eschenbach dirigeait avec flamme cette édition 2017 qui honorait la musique slave et dont la prestigieuse invitée était la soprano Renée Fleming – signataire elle aussi du livre d’or de Impérial… Si le plein air et l’immensité des lieux nécessitent une amplification, force est de constater qu’elle est réalisée avec goût et mesure : le scintillement des cordes, l’acidulé du hautbois et le boisé du basson y sonnaient presque comme dans la salle dorée du Musikverein. Quant au timbre onctueux et au phrasé envoûtant de Renée Fleming, ils flottaient sur le parc tel un parfum merveilleux de nuit d’été.

Salut devant le rideau à la fin de Fidelio de Beethoven
Salut devant le rideau à la fin de Fidelio de Beethoven

Le troisième délice me ramenait le lendemain au centre de Vienne pour une soirée lyrique au Staatsoper en compagnie de Beethoven et de son « Fidelio », créé dans cette même ville sinon dans ce même théâtre. La production qui tient l’affiche n’est certes pas nouvelle, signée il y a des lustres par Otto Schenk. Littérale et traditionnelle, elle n’entrave ni ne magnifie l’action, laissant les chanteurs à leur jeu naturel.
À signaler cependant les lumières expressives qui donnent un relief certain à cette scénographie très sage.img_2889

Même si les musiciens de l’orchestre qui connaissent par cœur la partition auraient gagné, les cuivres en particulier, à réviser tout de même un peu leur partie, les quelques petits accrocs ici et là furent vétilles au regard de la richesse et de la variété de la sonorité. D’autant que Cornelius Meister les a dirigés avec un parfait dosage entre raffinement chambriste et ardeur humaniste. Le chef d’orchestre parvient a soulever l’auditeur de terre dans le sublime quatuor du premier acte (il cisèle d’ailleurs les nombreux ensembles avec un raffinement de tous les instants) qu’à le transporter d’enthousiasme dans le finale du second.

La soprano Chen Reiss
La soprano Chen Reiss

Au sein d’une distribution de belle allure, se distinguent le Rocco à la voix d’airain et au tempérament chaleureux de Günther Groissböck, et la lumineuse Marzelline de Chen Reiss, joyau de jeunesse et de féminité. Jörg Schneider lui donne la réplique, Jaquino fort musical dans l’esprit du lied. En Leonore, Camilla Nylund compense largement un timbre aminci par une incarnation noble, tendre et passionnée. Peter Seiffert (Florestan) paraît nettement plus fatigué sauf lorsqu’il s’en remet à de (trop) claironnants aigus qui, visiblement, impressionnent le public. Quant à Albert Dohmen, il choisit de parler son Pizarro quand, régulièrement, le chant l’abandonne…

Pourtant, c’est un sentiment de ferveur fraternelle empreinte des accents géniaux de Beethoven qui habite le spectateur quand, dans la nuit tiède, il quitte le Staatsoper. Parce qu’il vient d’entendre une œuvre unique dans une ville qui respire la musique.

Si ces trois haltes rendent hommage à la Vienne de carte postale plutôt qu’à la cité de la modernité, de la Sécession et des révolutions esthétiques et intellectuelles, elles n’en sont pas moins précieuses, pour échapper un instant aux fadeurs de la culture globale.

A très bientôt !

L’ironie charmante (et grinçante) de Carl Spitzweg

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Une toile de Carl Spitzberg, exposée au Musée Leopold à Vienne (Carl Spitzweg (1808-1885), The Intercepted Love Letter, c. 1855 Oil on canvas, 54,2 x 32,3 cm Museum Georg Schäfer, Schweinfurt Photo: Museum Georg Schäfer, Schweinfurt)
Une toile de Carl Spitzberg, exposée au Musée Leopold à Vienne

Après avoir évoqué de récentes soirées musicales viennoises dans un précédent billet, j’avais envie aujourd’hui de revenir en quelques mots et pas mal d’images sur une exposition pleine de saveurs et d’enseignements que j’ai eu la chance de découvrir au Musée Léopold. Musée au charme sobre, clair et contemporain dont je ne me lasse pas. Sans parler de ses collections, témoignages du génie viennois au tournant des XIXe et XXe siècles, une place de choix étant réservée au puissant et torturé Egon Schiele.

Les fleurs sublimes et vénéneuses d'Egon Schiele
Les fleurs sublimes et vénéneuses d’Egon Schiele

L’artiste est d’ailleurs actuellement le héros d’une rétrospective à l’Albertina, ce qui a quelque peu dégarni les cimaises du Musée Leopold. On admire toutefois, entre autres, deux compositions florales éblouissantes – et vaguement effrayantes – qui à elles seules justifient la visite.

Chrysanthèmes par Egon Schiele
Chrysanthèmes par Egon Schiele

Mais c’est de l’exposition temporaire, visible jusqu’au 19 juin  au sous-sol du musée, dont je souhaite dire un mot. Ou, plus précisément, des toiles de Carl Spitzweg (1808-1885) et de leur délectable ironie. Elles sont associées à une sélection d’œuvres d’Erwin Wurm (né en 1954), plasticien qui, lui aussi porte un regard caustique sur lui-même et sur la société. Leur impact est un peu convenu, exception faite d’une « Maison étroite », matérialisation efficace de l’ambiance étriquée du foyer de son enfance : tout y est aminci, comme si meubles, livres et autres appareils ménagers avaient été comprimés par les mâchoires d’une étrange machine…

Moine amateur de bon vin par Carl Spitzweg
Moine amateur de bon vin par Carl Spitzweg

De modestes dimensions, les tableau de Carl Spitzweg ne sont sans doute pas à ranger parmi les grands chefs-d’œuvre de l’histoire de l’art. Pourtant, leur nuancier subtil, la tranquille harmonie de leur composition et le soin apporté aux détails comme aux ambiances flattent le regard, invitant à s’approcher de chacune de ces saynètes pour en goûter l’esprit. Et Dieu sait que de l’esprit, Carl Spitzweg n’en manquait pas ! Ce Munichois, inscrit dans le mouvement du Biedermeier qui imprègna le début du XIXe siècle en quête d’apaisement après les tumultes napoléoniens, excellait à pointer les petites faillites et aimables ridicules de ses contemporains.

L’amateur de cactus

Moines hédonistes, chasseurs maladroits, militaires désœuvrés réduits à tricoter à côté d’un canon inutile, bourgeois en promenade campagnarde avec leur famille, artistes sans le sou (tel ce Pauvre Poète, sa toile la plus célèbre), savants du dimanche ou galants éconduits… la comédie humaine de Spitzweg n’est pas à la hauteur des grands idéaux que la Révolution française a voulu répandre dans l’Europe entière. Ces gens ordinaires semblent victimes de leur courte vue, de leur manque de souffle, de leur incapacité à élargir réellement leur horizon. Bien souvent, un petit oiseau – double malicieux du peintre ? – observe la scène de son œil rond grand ouvert, à moins qu’il ne joue un rôle à part entière comme dans La Visite, où un merle vient dialoguer avec un écrivain enfoui parmi ses grimoires…

L'amour des livres
La passion des livres

Mais le peintre ne condamne ni ne méprise ses personnages : son approche goguenarde laisse transparaître une réelle tendresse, évidente dans l’une de ses meilleures toiles : elle illustre la passion d’un bibliothécaire auquel il faudrait dix mains pour saisir tous les livres désirés. Carl Spitzweg se plaît aussi à rendre hommage au charme d’une jeune rêveuse très romantique, à la fraîcheur de deux enfants cheminant dans un ravissant décor bucolique ou à la beauté gourmande d’une jeune paysanne. Mais, là, l’humour reprend ses droits avec ce bourgeois d’âge mûr qui contemple la demoiselle beaucoup trop jolie, beaucoup trop libre pour lui…

Jolie promeneuse et regard concupiscent…

A très bientôt !

 

 

En attendant Tannhäuser…

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img_0154 Retenue depuis des mois, une escapade munichoise deviendra réalité dans deux jours. Le motif principal de ce long week-end dans une ville si plaisante (j’imagine déjà les charmes printaniers du Jardin anglais, la contemplation jamais lassée du féerique pavillon Amalienburg et la sidération, toujours aussi intense elle aussi, devant le cycle de Lépante par Cy Twombly…) s’appelle « Tannhäuser ».

Annoncée dans la copieuse brochure de l’Opéra de Bavière, cette nouvelle production du chef-d’œuvre de Richard Wagner ne pouvait que retenir l’attention et déclencher une folle envie « d’en être ». Le plateau vocal tutoie les cimes avec, notamment, Anja Harteros en Elisabeth, Christian Gerhaher en Wolfram et Georg Zeppenfeld en Hermann… tandis que le maître musical des lieux, Kirill Petrenko, dirige le rutilant orchestre et les chœurs impeccables de la maison.

Anja Harteros dans Tannhäuser à Munich
Anja Harteros dans Tannhäuser à Munich

Le souvenir émerveillé des « Maîtres chanteurs » du même Wagner par le même Petrenko la saison dernière laisse augurer du meilleur. Rarement, on entend alliance aussi accomplie entre une technique souveraine, qui ordonne en souplesse la complexité, et une inspiration constante, un souffle immense qui emporte l’auditeur dans des contrées émotionnelles inexplorées. Il faut ce contrôle parfait et ce lyrisme sans limites pour conduire victorieusement le fleuve « Tannhäuser » à bon port, depuis les ivresse sensuelles du Venusberg jusqu’à l’épure du repentir chrétien et du sacrifice par amour.

Kirill Petrenko
Kirill Petrenko

Les premiers échos glanés dans la presse et sur les réseaux sociaux semblent confirmer et même au-delà les splendeurs espérées. Ce qui ne fait que redoubler mon impatience et, à la fois, me laisse redouter déjà le moment cruel où le rideau tombera sur le spectacle achevé…

Confiée à Romeo Castellucci, la mise en scène est sans doute de celles qui refusent la routine et inventent de puissantes images, déploient des « forêts de symboles ». J’ai intentionnellement ignoré les commentaires et avis des spectateurs ou critiques pour découvrir cette proposition d’un œil et d’un esprits « innocents », ouverts – dans la mesure de mes capacités en la matière ! – à toutes les surprises et à toutes les hardiesses.

Pour le moment, je savoure par anticipation l’arrivée sur le perron du Staatsoper rythmé par ses imposantes colonnes, le contrôle toujours amène des billets à l’entrée, le salut au portrait de Wolfgang Sawallisch (médiocre peinture mais évocation fidèle) accroché dans le corridor droit au niveau du parterre… Et tous ces petits rituels avant les premiers accords et le départ en haute mer wagnérienne.

À très bientôt !

Les énigmes de Tannhäuser

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La vision de Romeo Castellucci
La vision de Romeo Castellucci

Qui pourrait encore prétendre que les opéras de Wagner sont longs après avoir vu et entendu la production munichoise de Tannhäuser, dirigée par Kirill Petrenko et mise en scène par Romeo Castellucci ?

Le spectacle est si intense, si plein, si riche que le spectateur perd toute notion du temps, immergé dans une aventure sonore et visuelle où le temps se fait espace… et réciproquement. Quand il revient à lui lors des saluts et des très nombreux rappels, comme l’Opéra de la capitale bavaroise en a le secret, il serait bien en peine de dire si une heure ou beaucoup plus se sont écoulées. Il sait seulement que le miracle fut de bien trop courte durée…

D’excellents confrères ont écrits de belles critiques détaillées et argumentées sur ce Tannhäuser. Je ne vais pas donc les paraphraser en louant la baguette magique, si douce et si rayonnante, si maîtrisée et si intrépide, de Kirill Petrenko qui se hausse de la première à la dernière note à la hauteur de cette musique géniale, ni en saluant la somptueuse texture de l’orchestre et le raffinement des chœurs ; ni en décrivant la noblesse souveraine d’Anja Harteros, la quintessence poétique de Christian Gerhaher, le phrasé infini de Georg Zeppenfeld, la vaillance sensuelle d’Elena Pankratova…

Anja Harteros est Elisabeth
Anja Harteros est Elisabeth

Je m’arrêterai en revanche sur le « cas » de Klaus Florian Vogt, l’une des énigmes du spectacle… J’avoue que l’acte I m’a semblé lui poser de sérieuses difficultés : les couplets où Tannhäuser avoue à Vénus sa lassitude des plaisirs sans fin du royaume de l’amour mettent sa voix – presque à nue tant le soutien orchestral voulu par Wagner est alors transparent – à rude épreuve et, plus encore, accusent les défaillances de son souffle, étonnamment empêché.

Klaus Florian Vogt
Klaus Florian Vogt

Le ténor est contraint d’escamoter la fin des phrases pour garder le tempo tandis que la ligne vocale accuse des hauts et des bas, à la manière d’une courbe boursière chahutée, qui font presque peine. D’autant que le timbre clair et l’émission aiguë – caractéristiques très singulières qui séduisent les aficionados du chanteur – laisseraient imaginer souplesse et vélocité. Pourtant, au fil des actes, Klaus Florian Vogt « entre » dans le rôle et dans la partition avec une assurance croissante, jusqu’à ce récit du retour de Rome, entre désespoir et révolte, d’une poignante véhémence. L’écriture vocale ample mais moins volubile lui permet désormais d’épanouir son talent, de déployer son éloquence, de libérer de glorieux aigus.

Kirill Petrenko, une direction incomparable
Kirill Petrenko, une direction incomparable

Énigmes encore et à foison dans la mise en scène de Romeo Castellucci. Sans doute, les germanistes auront réussi à résoudre certaines d’entre elles après avoir lu ses propos dans le programme du spectacle. Mais pour le spectateur « innocent », que de questions et que d’interprétations dont il remet aussitôt en jeu la pertinence comme la légitimité. À commencer par ce sublime ballet, inexorable et lent, tranquille et puissant, pendant l’ouverture de l’opéra. Pourquoi ces flèches tirées en cadence toute musicale, sur une pupille  – qui se mue en oreille – par une armée gracieuse et implacable munie d’arcs noirs ? Tannhäuser aurait-il porté ses pas auprès de Diane plutôt que de Vénus ? Flèche de l’amour, du pêché, de la culpabilité, peut-être même de la transverbération, telle que Le Bernin la représente à Rome (Église Santa Maria Della Vittoria) délicatement glissée entre les doigts d’un ange ? Cette flèche d’or, sera d’ailleurs suspendue immobile pendant tout le troisième acte…

À l'acte III
À l’acte III

Magnifiée par des lumières sans cesse changeantes, sans cesse vivantes, des couleurs – noir, blanc, rouge – et des costumes d’une sobriété orientale, la vision de Romeo Castellucci intrigue aussi par la présence dans la grande salle de la Wartburg de créatures sinueuses et sinuantes venues du Venusberg. Et pourquoi ces pieds tronqués (ceux des pèlerins qui se blessent sur le chemin de la rédemption ?) posés au sol ?

Et, au dernier acte, comment comprendre ce double tombeau gravé aux noms d’Anja et de Klaus et non d’Elisabeth et d’Heinrich ? Avec une inquiétante douceur, des hommes en noirs viennent y déposer les cadavres de plus en plus décomposés des deux protagonistes, sur fond de vertigineux déroulement du temps. J’avoue que l’idée et l’image m’ont semblé un peu trop appuyées et démonstratives, moins convaincantes parce que moins oniriques.

Jusqu’à la toute fin de l’ouvrage, très belle, quand la poussière, ou plutôt les poussières enfin réunies retournent à la poussière. Peut verdir à nouveau le rameau desséché…

A très bientôt !


Papageno, Papagena et les chaussures Scholl

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img_3107À celles et ceux – et j’en suis ! – qui se plaignent de la faible « exposition médiatique » de la musique classique dans notre société, la publicité apporte régulièrement son démenti.

On se souvient même de compilations discographiques qui donnaient à entendre les extraits de la Traviata, de Carmen ou de Casse-noisette accompagnant et magnifiant les réclames télévisées pour un  jambon cru italien, un produit d’entretien forcément miracle ou un véhicule utilitaire indispensable à tout artisan qui se respecte. Dans mon souvenir, ce dernier spot était d’ailleurs amusant et fort réussi… Et sans parler de la carrière étonnante de la Valse n°2 de la Suite Jazz n° 2 de Chostakovitch relancée par une compagnie d’assurances !

A la faveur d’un récent zapping, je suis tombée sur la plus basique et la plus simplette des publicités, de celles dont on imagine qu’elles ont été conçues à la va vite sur un coin de table, entre une réunion stratégique et un déjeuner de travail. Ce spot vante les chaussures Scholl, marque qui, si je ne me trompe pas, doit davantage sa réputation à son confort qu’à son glamour.

img_3108Que voit-on à l’écran ? Des jambes et des pieds légers – car chaussés Scholl – qui trottent gaiement, montent et descendent quelques marches, rebondissent sur l’asphalte comme sur un sol doux et élastique. Tout cela serait parfaitement banal, voire ennuyeux, si ce ballet pédestre n’était régi par la mélodie délicieuse et le rythme souriant des premières mesures du duo entre Papageno et Papagena dans La Flûte enchantée. Les « Pa-pa-pa » de l’oiseleur mozartien et de sa mutine fiancée ont-il été choisis pour leur homophonie avec les « pas-pas-pas » guillerets des heureux possesseurs de chaussures enchantées ?

À vrai dire, peu importe le concept et l’idée « force » qui ont présidé à ce petit film. Il prouve simplement à quel point une musique formidable (et dans le cas présent élégamment chantée) peut donner des ailes et même une exaltante poésie aux images les plus ordinaires, le design des chaussures Scholl ne pouvant guère être rapproché de celui des créations d’un Delage…

Si le mouvement des images suit celui de la musique, s’il s’en affranchit soudain pour mieux l’épouser à nouveau, le spectateur se sent transporté… même par une petite pub’ sans prétention pour des chaussures pratiques !

Tannhäuser, la vision de Romeo Castellucci
Tannhäuser, la vision de Romeo Castellucci

Et de repenser alors à la manière stupéfiante dont Romeo Castellucci a imaginé, pour l’ouverture de Tannhäuser qu’il met en scène à Munich, un admirable ballet d’Amazones bandant leurs arcs et criblant de flèches l’œil-cible qui nous regarde fixement. L’échelle est évidemment tout autre et l’ambition bien supérieure. Mais le geste est le même.

A très bientôt !

Leipzig : moments magiques au Bach Museum

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Saint-Thomas de Leipzig
Saint-Thomas de Leipzig

Nouvelle étape d’un printemps décidément très germanique, je viens de passer un long week-end à Leipzig pour la Bachfest qui se tient encore quelques jours. Une première pour moi qui, si le loisir m’en est donné, ne restera pas isolée…

Comme tout néophyte, j’ai voulu « profiter » au maximum de ce séjour pour courir de concert en concert et, entre ces moments musicaux, découvrir quelques hauts lieux de la ville, ou du moins de son centre. L’extérieur du « ring » qui semble également fort interessant sera pour une prochaine fois…

Les stucs blanc, vert et rose de Saint-Nicolas.
Les stucs blancs, verts et roses de Saint-Nicolas.

De part et d’autre du Markt, la grand place centrale de la vieille cité, s’élèvent les deux églises principales de Leipzig, étroitement liées à l’extraordinaire parcours de Jean-Sébastien Bach dans sa ville d’adoption. J’avoue que le volume théâtral de Saint-Nicolas avec son décor de stuc couleur bonbon (de récente date, ai-je lu dans un guide) m’a enchantée par sa gaité pimpante mais solennelle,

L'intérieur de Saint-Thomas
L’intérieur de Saint-Thomas

Saint-Thomas, c’est autre chose. De style gothique, là aussi remaniée et rénovée, elle est plus austère en dépit de ses hautes voûtes blanches aux arrêtes peintes en rouge sang. Mais que d’émotion devant la dalle modeste qui indique la tombe de Bach, transférée dans le choeur de l’église en 1950. Des fleurs, très vilaines d’ailleurs, la couvraient en partie et je suppose qu’il en est ainsi tout au long de l’année.

La tombe de Bach
La tombe de Bach

Si le concert auquel j’ai assisté dimanche m’a un peu déçue par la direction trop sage de Daniel Reuss et un choeur parfois un peu flou, j’ai cependant été parfaitement heureuse d’entendre ces murs vibrer de musique.

Auparavant, j’avais passé deux grandes heures tout à côté, dans le Bach Museum. En touriste consciencieuse, j’en ai visité les différentes salles, écouté au casque des extraits d’œuvres du Cantor, exercé mon très faible niveau d’allemand et mon un peu moins désastreux niveau d’anglais à la lecture attentive des panneaux explicatifs qui jalonnent la déambulation. Dans la « salle des trésors » dont la lumière tamisée incite les visiteurs à parler tout bas, on admire quelques manuscrits (une lettre, les parties séparées d’une cantate…), surveillé de près par le portrait de Bach sous le pinceau d’Elias Gottlob Haussmann.

Dans une galerie attenante, une exposition didactique fait, elle, la lumière sur le paysage religieux composite de Leipzig au XVIIIe siècle, puissante cité marchande, universitaire et culturelle. J’y ai appris comment coexistaient, au côté du luthéranisme, de multiples églises et confessions qui dialoguaient ou s’ignoraient, du piétisme au judaisme et de l’islam (certes minoritaire) au catholicisme, protégé à partir des années 1730 par le roi Frédéric Auguste II…

Le jardin du Bach Museum
Le jardin du Bach Museum

Une fois plus savante – j’ai photographié nombre de cartels pour ne pas voir cette science toute fraîche s’échapper de ma mémoire aussi rapidement qu’elle y était entrée ! – je suis passée à des activités plus hédonistes. À commencer par une halte dans le petit jardin envahi de roses – blanches, crème, poudrées – qui n’est pas le moindre des charmes de ce séduisant musée. Un couple japonais très élégant s’y reposait, souriant et discret. J’ai imaginé alors les milliers de kilomètres qu’il avait parcouru par amour de Bach et combien ces instants parmi les roses lui offraient une récompense méritée (si cela se trouve,  ce monsieur et cette dame vivent à Berlin depuis des années !)

Après un passage consumériste dans la boutique du musée – cartes postales, livres, gadgets de bon goûts et confiseries à l’effigie du maître mais aussi de Luther, anniversaire de la Réforme oblige… – restait un dernier lieu à honorer : le café Gloria et sa jolie terrasse, avec vue imprenable sur le flanc de Saint-Thomas.

Au Café Gloria...
Au Café Gloria…

Tenu par une équipe de jeunes femmes très aimables dont le service allie sérénité et efficacité, il propose une petite carte salée (confortable et savoureuse soupe de pommes de terre) et une carte sucrée plus nourrie. Y figure en bonne place un « Gloria’s Kaiserschmarren » fait maison, accompagné comme il se doit de compote de prunes violettes. Fanatique de ce dessert aussi rustique que parfumé – si raisins secs, amandes, épices douces et alcool entrent harmonieusement dans sa composition – je n’ai pas résisté, malgré la soupe roborative citée précédemment. Bien m’en a pris : avis aux amateurs, le Café Gloria mérite sans aucun conteste une médaille d’or en matière de Kaiserschmarren. Seule, je l’ai dégusté jusqu’à la dernière miette. Toutefois, un pour deux suffirait…

À très bientôt !

Venise, je me souviendrai longtemps

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img_3293Attendue à la Philharmonie de Paris en septembre, la trilogie des opéras de Monteverdi sous la direction de John Eliot Gardiner fera l’objet d’un article dans La Croix, en temps et en heure.

Mais mon enthousiasme est trop impatient pour ne pas confier à ce blog quelques premières impressions, après avoir découvert ces trois spectacles le week-end dernier, dans le cadre enchanteur de La Fenice à Venise. Voici donc de petits flash pour lesquels je plagie sans vergogne la forme du « je me souviens » de Georges Perec…

img_3388Je me souviendrai longtemps de la place devant La Fenice inondée de soleil et de la salle rutilante avant que l’aventure musicale ne commence. Ce moment délicieux où tout est à venir, dans une sorte de suspension bienveillante du temps.

Je me souviendrai longtemps des fanfares d’Orfeo, sonnant, rutilantes, dans le fond du théâtre avant de rejoindre la scène.

img_3332Je me souviendrai longtemps de la fluidité de la gestuelle du chef auquel répond un orchestre ondoyant, brillant et doux, coloré comme un arc-en-ciel et suave comme la brise d’été, le soir, sur les Zattere…

Je me souviendrai longtemps de l’incroyable éloquence de Krystian Adam, Orfeo passionné et désespéré (déjà admiré dans le même rôle avec le même chef dans la Galerie des glaces à Versailles), mais aussi Télémaque bouillonnant de vitalité et de jeunesse dans Le Retour d’Ulysse. Quel artiste !

Je me souviendrai longtemps de la voix délicieuse et de la présence mutine et touchante d’Anna Denis (Melanto, Drusilla…), soprano au timbre fruité, ensoleillé, charnu.

Je me souviendrai longtemps de la surprise à la vue de deux flûtistes tricotant ostensiblement avant l’heureux dénouement tant espéré du Retour d’Ulysse – une source « proche du dossier » nous a expliqué qu’il s’agissait d’une idée de John Eliot Gardiner pour incarner cette longue attente, peut-être même une transposition ironique de la fameuse tapisserie…

Je me souviendrai longtemps de l’autorité de Lucile Richardot, impériale Pénélope ravivant sur la scène vénitienne toute la noblesse antique par à son timbre de bronze. Mais aussi de sa berceuse d’Arnalta dans Le Couronnement de Poppée. Quintessence de l’affection protectrice, sur le fil de la voix et de la rêverie qui, déjà, enveloppe Poppée de son léger voile.

Je me souviendrai longtemps du charisme de Gianluca Buratto, de sa ligne de chant bouleversante dans les adieux de Sénèque. Et tout autant des profonds abysses ouverts par ses graves insondables, au fil des trois ouvrages auxquels il a prêté sa voix incroyable.

Je me souviendrai longtemps des pages chorales (certains, sublimes, ont été « importées » de madrigaux, notamment dans Le retour d’Ulysse) chantées avec maestria et une palette infinie de nuances et de couleurs par les solistes réunis (image toujours enthousiasmante) et une poignée de merveilleux choristes.

img_3390Je me souviendrai longtemps du charme de la mise en espace, simple et fluide, et des costumes sobres aux teintes étudiées pour caractériser les personnages et ajouter, çà et là, leur touche d’humour, comme les boutons en forme de coeur de la chemise de Silvia Frigato, piquante soprano auquel revint le rôle de l’Amour.

Je me souviendrai longtemps aussi de l’indiscipline d’une partie du public (téléphones portables « oubliés », entrées et sorties intempestives dans la salle, conversations, papiers de bonbons froissés et autres bruits parasites…) qui, au risque de paraître une affreuse redresses de torts, j’ai trouvé particulièrement déplacés face à tant de beauté et tant de travail.

Je me souviendrai longtemps du Néron hallucinant de Kangmin Justin Kim, dont la brutalité se déchaîne pour aussitôt se noyer dans la plus caressante délicatesse. Que de diversité et de plasticité dans cette incarnation inquiétante jusqu’au céleste duo final où les monstrueux amants – Hana Blazikova un peu pâle dans les deux premiers ouvrages a trouvé en Poppée le rôle qui lui convient – élèvent leur chant au firmament.

img_3342Je me souviendrai longtemps de tout ce que je n’ai pas consigné ici et qui mériterait des lignes et encore des lignes… Et je conseille à tous ceux qui le peuvent d’assister, ici ou là, à l’une des étapes européennes (ou américaine…) de cette tournée « Monteverdi 450 » : ils ne le regretteront pas.

A très bientôt !

Encore Mozart, encore la pub’ : éloge du rien

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img_0160Il y a quelque temps, je m’étais (un peu trop peut-être) réjouie d’un petit spot publicitaire pour les chaussures Scholl, éclairé, allégé par le duo entre Papageno et Papagena en guise de bande-son.

Et voici que, beaucoup plus élaboré malgré sa forme simple et claire, vient d’apparaître sur l’écran de ma télévision un autre film, également publicitaire et également mozartien. Il vante une voiture de la marque Volkswagen : l’argumentaire manie avec une ironie paradoxale la notion du « rien » qui, au moment crucial, à savoir celui où il est impératif de s’arrêter à temps pour éviter de percuter le véhicule devant vous, peut s’avérer essentiel.

img_0159Une succession de séquences d’une seconde à peine évoque plein de ces charmants petits riens de la vie courante dont la modestie parfois dérisoire mérite pourtant toute notre attention. Le montage millimétré de ces images léchées voit son efficacité renforcée grâce à la musique qui l’accompagne. Et c’est là où Mozart entre à nouveau en scène. Astucieux, le créateur du spot a en effet choisi « La Tartine de beurre », ce petit rien plein de grâce qui glisse avec malice sur le clavier du piano.

Mozart vraiment ? La paternité de la pièce n’est pas du tout avérée… Mais qu’importe en l’occurrence : l’équation message publicitaire – réalisation – musique est si réussie que je voulais saluer ce spot. Rien de plus, rien de moins.

A très bientôt !

« Otello », anatomie d’une déception

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img_1327Quand on apprécie – le mot est faible… – un artiste, il est difficile d’admettre que l’une de ses prestations ne vous a pas pleinement convaincu, surtout quand la prestation en question était tant attendue.

Avec Tristan, encore à venir, Otello était LE rôle que les fans de Jonas Kaufmann espéraient depuis des années, tout en se réjouissant que le ténor sache patienter jusqu’au moment opportun pour se frotter à ce personnage si exigeant vocalement et psychologiquement (héroïsme, passion, violence, désespoir, tendresse, doute, folie, meurtre).

img_3438On avait appris que la primeur de l’avant-dernier chef-d’œuvre de Verdi serait londonienne pour Jonas Kaufmann, sous la direction de son complice Antonio Pappano – dont la version d’Aida, avec le même Kaufmann (et Anja Harteros) avait hautement convaincu. Pour lui donner la réplique sur la scène du Royal Opera House, un autre complice, Ludovic Tézier, et la soprano Maria Agresta.

Cette dernière aura été, en tout cas lors des deux premières représentations, une Desdémone touchante mais sans grande personnalité ni aura. Fine et gracieuse dans les douces nuances et les aigus suspendus, la voix s’épaissit étrangement dans les passages forte, un vibrato gênant en compromettant la parfaite justesse.

Quant à Ludovic Tézier, hélas débarqué de la production au prétexte d’un obscur motif de jours de répétition manqués pour examen de santé, il a été remplacé par Marco Vratogna, dont j’ai du mal à comprendre le succès au moment des saluts. Incarnation banale, timbre sans harmoniques, intonation relâchée et vélocité vocale mise à rude épreuve cantonnent son Iago dans la famille des méchants sans envergure.

On en regrette d’autant plus le duo Tézier-Kaufmann qui « fonctionne » si bien (Don Carlo, La Force du destin), dramatiquement et artistiquement. Nul doute que l’alchimie que savent créer les deux chanteurs aurait triomphé de la mise en scène molle et sans idées de Keith Warner qui fouille si peu les relations entre les personnages que l’intensité de l’intrigue s’en trouve affadie.

Ajoutons à ce morne tableau, la direction bruyante et morcelée d’Antonio Pappano qui néglige des fascinantes couleurs de l’instrumentation et encore moins du lyrisme effusif ou douloureux des mélodies (par charité, on se contentera au passage de mentionner la médiocrité des chœurs), et voici un écrin bien ordinaire pour la prise de rôle de Jonas Kaufmann !

Le plus radieux joyau du monde ne fera pas un diadème si les pierreries qui l’entourent n’ont que le faible éclat de la pacotille. D’autant que, bousculé par une retraite forcée de plusieurs mois dont il est sorti récemment, le ténor allemand semble hésiter encore à brûler et à se brûler, comme il l’a fait si souvent pour notre plus grand enthousiasme.

Les demi-teintes sont d’une parfaite finesse et la flexibilité des lignes  toujours bouleversante, avec cette manière inimitable de finir ses phrases, comme une caresse, un nuage qui passe. Il eût fallu un orchestre au raffinement égal pour que l’effet, de magnifique devienne magique.

img_3469Les aigus vaillants « passent » aussi sans problème mais – vraisemblablement par recherche du bon goût autant que par prudence vocale – le chanteur ne s’y attarde pas, surtout que le chef de brigade Antonio Pappano n’a visiblement pas de temps à perdre, ni de barre de mesure à assouplir… Les premières morsures de la jalousie puis les idées de meurtre qui s’emparent de l’esprit malade d’Otello y perdent en émotion et, même, en crédibilité : gagné par le délire, comment continuer à avancer tout droit à travers la musique ?

Enfin, un élan de sincérité me pousse à avouer que le timbre, toujours baigné des rayons et de la chaleur d’un astre sombre, m’est apparu un peu moins riche, un peu moins profond. Comme ces belles étoffes que l’on ne peut dire usées mais dont la texture et le « tombé » ont vaguement perdu de leur superbe. Certes, l’acoustique du Royal Opera House n’est pas la meilleure du monde pour mettre en valeur les moirures et les veloutés d’une voix – j’ai été très bien placée la première fois (mais l’orchestre était tonitruant) puis moins bien la seconde (l’ensemble, chanteurs et instrumentistes, était passablement atténué), tout en haut de l’amphithéâtre. Mais est-ce la seule raison ? J’aimerais tant que ce soit le cas…

A très bientôt !

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